Carburants : un geste des pétroliers ?

Le ministre de l'Economie Pierre Moscovici doit recevoir lundi et mardi les associations de consommateurs et les spécialistes du secteur pétrolier.
Le ministre de l'Economie Pierre Moscovici doit recevoir lundi et mardi les associations de consommateurs et les spécialistes du secteur pétrolier. © MAXPPP
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Le gouvernement veut mettre ces groupes à contribution. Ils le peuvent, selon les associations.

"Je le dis ici, les prix des carburants baisseront par un effort partagé." Pierre Moscovici a beau le dire, la tâche s'annonce compliquée. Le ministre de l'Economie doit recevoir lundi et mardi les associations de consommateurs et les spécialistes du secteur pétrolier.  Par "effort partagé", Pierre Moscovici espère que l’État ne paiera pas seul la facture par une baisse des taxes. Et que les distributeurs et/ou les producteurs-raffineurs mettront la main à la pâte. Mais en ont-ils les moyens ?

Si les pétroliers se disent "prêts à accompagner l'effort du gouvernement", selon les termes du président de l'Union française des industries pétrolières (Ufip), Jean-Louis Schilansky, "l'effort partagé" risque d'être mineur.  Jean-Louis Schilansky a en effet prévenu : "il n'y a pas de miracle". Mais le président de l'Ufip ne parle que des distributeurs, là où les associations aimeraient aussi entendre parler des raffineurs et des producteurs. 

Les stations-service criblées de charges

Selon Jean-Louis Schilansky en effet, les marges de manœuvre du côté des distributeurs sont faibles : "la flexibilité au niveau de la distribution est très, très faible. Après avoir payé 8 ou 9 centimes de frais pour distribuer les produits pétroliers, il reste aux distributeurs de l'ordre de 1 centime d'euro du litre." L'Ufip, qui représentent les pétroliers (Total, Shell…) est rejoint dans ce constat par beaucoup de supermarchés (Carrefour, Super U etc.) qui distribuent aussi du carburant.

"Si on bloque les prix, ça veut dire que demain on vend à perte, avait affirmé, le 18 août sur Europe1, Serge Papin, président du groupement coopératif Système U. Pour nous, l'enjeu financier est tellement fort qu'on pourrait à ce moment là ne plus avoir les moyens d'acheter le carburant."

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Et leurs dires sont confortés par un rapport de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), révélé dimanche par LaTribune.fr. D'après ce rapport, les marges des distributeurs, tant décriées par les hommes politiques, sont infimes. "La marge brute de transport/distribution est en augmentation non pas du fait de l'augmentation de la marge nette distributeur mais de l'augmentation des charges d'exploitation et des obligations réglementaires", affirme ainsi la DGCCRF.

Nouvelle réglementation sur la mise aux normes environnementales, augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes, hausse de la taxe organique sur le chiffre d'affaire, interdiction de la vente d'alcool dans les stations-service (pertes compensées par les distributeurs dans le prix des carburants… la liste des charges qui pèsent sur les stations-service est longue.

Jouer sur le raffinage ?

Et la direction de la concurrence brise également une autre idée reçue, selon laquelle les distributeurs ne répercuteraient pas la baisse des cours du pétrole sur les prix à la pompe. "Les variations des prix des cotations internationales sont répercutées dans les prix au détail de façon décalée dans le temps, et parfois lissée, écrit la DGCCRF. En expliquant : "dans le cadre d'une gestion intégrée de groupe, les stations-service reçoivent chaque jour des instructions d'ajustement en fonction des fluctuations internationales."

Mais selon les associations de consommateurs, le débat n'est pas là : les pétroliers ont des marges ailleurs et ils se gardent bien de le crier sur les toits. "Il y a peu de leviers sur la distribution", reconnaît en effet Nicolas Mouchnilo, en charge de l'énergie et de l'environnement à l'UFC Que Choisir, contacté par Europe1.fr. "Pire : si les distributeurs, pétroliers comme supermarchés,  sont tous obligés de baisser leurs marges, il y a un risque pour que certains acteurs ne vendent plus d'essence. Ce qui ferait baisser la concurrence et du coup augmenter les prix à moyen terme", ajoute-t-il.

"Changer les règles du jeu"

Car pour l'association, c'est sur les marges d'exploitation et de raffinage - qui représentent la différence entre le prix des produits raffinés et leurs coûts de production - que les pétroliers peuvent agir.  "Les marges de raffinages ont augmenté de 50% pour le diesel et de 100% pour l'essence en un an. Elles représentent aujourd'hui 15 centimes (diesel) et 8 centimes (essence) au litre à la pompe pour le consommateur ", assure Nicolas Mouchnilo.

Même son de cloche du côté de CLCV. "Pourquoi les raffineurs ont-ils multiplié leurs marges par trois depuis dix ans ?", se demande Reine-Claude Mader, présidente de la CLCV, contacté par La Tribune.

Selon le site de l'Ufip, les marges de raffinage n'ont même jamais été aussi élevées depuis des décennies. Le hic : les marges de raffinage se font pour l'essentiel à l'étranger. En France, les marges des raffineries ont même baissé de 60% entre 2008 et 2009. Et elles sont aujourd'hui à un "niveau de crise" selon l'Ufip. Or, le gouvernement ne peut pas agir sur le raffinage et les exploitations dans d'autres pays.

"Soit les pétroliers décident d'eux-mêmes de baisser leurs marges ou de les réinvestir dans une transition énergétique qui nous ferait sortir de la dépendance au pétrole, soit les règles du jeu de la concurrence internationale doivent changer", résume Nicolas Mouchnilo, qui demande au G8 et à l'Union européenne de se saisir du dossier.