Alstom : l’AMF menace l’accord entre l’Etat et Bouygues

L'accord entre Bouygues et l'Etat français sur le rachat des actions Alstom pour être menacé par l'Autorité des Marchés Financiers.
L'accord entre Bouygues et l'Etat français sur le rachat des actions Alstom pour être menacé par l'Autorité des Marchés Financiers. © MaxPPP
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Damien Brunon
BISBILLE - Selon le gendarme des marchés financiers, l’entente conclue  entre les deux parties pourrait être considérée comme une “action de concert”.

L’INFO. Deux semaines après avoir réussi à refermer le dossier Alstom sur une note positive, l’Etat pourrait devoir revoir sa copie. Selon l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), l’accord passé entre ce dernier et Bouygues pour prendre le contrôle de l’entreprise française pourrait être considéré comme une “action de concert”. Problème : si cela était finalement le cas, l’accord prévu deviendrait beaucoup plus difficile à mettre en place.

Une “action de concert”, c’est quoi ? En droit des sociétés, deux entités sont considérées comme ayant agit “de concert” lorsque le gendarme de la Bourse estime qu’elles ont passé un accord “en vue d’acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d’exercer les droits de vote pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société” concernée.

Quelle conséquence juridique ? Le fait d’agir “de concert” ne fait pas courir de risque au pénal, mais a une conséquence technique très importante dans le dossier Alstom. Les entités jugées agir “de concert” sont alors “tenues solidairement aux obligations qui leurs sont faites par les lois et les règlements”.

Concrètement, si l’accord entre l’Etat et Bouygues est considéré comme une “action de concert”, les décisions des deux parties seront considérée comme émanant de la même entité. Plus important encore, les actions que chacune des deux détiennent seront en fait considérées comme étant en commun.

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Quel accord avaient Bouygues et l’Etat ? Pour prendre le contrôle d’Alstom, l’Etat avait calculé qu’il avait besoin de 35% des actions de l’entreprise. Pour l’instant, il n’en dispose d’aucune. Il a donc passé un accord de rachat d’action avec Bouygues qui, pour l’instant, détient 29,33% des actions d’Alstom.

Dans cet accord, il est prévu que l’Etat rachète les deux tiers (20%) des actions d’Alstom à Bouygues pendant les deux prochaines années. En attendant, et pour que la prise de contrôle soit effective le plus rapidement possible, Bouygues a accepté de prêter à l’Etat ces fameuses actions. Pour soutenir sa prise de contrôle, l’Etat compte aussi acheter environ 5% d’actions sur les marchés auprès de petits porteurs (qui représentent environ 70% de l’actionnariat d’Alstom).

Pour compléter la somme, et atteindre les fameux 35%, il est très probable que Bouygues ait enfin promis à l’Etat qu’il voterait toujours comme lui. Et c’est justement sur ce point que l’AMF n’est pas d’accord. Le gendarme des marchés financiers pourrait en effet considérer que cet accord, non officiel, constitue une “action de concert”.

Cela remet-il l’accord en cause ? Si l’AMF juge que Bouygues et l’Etat ont agit “de concert”, cela pourrait avoir comme conséquence directe de mettre par terre l’accord entre les deux entités. En effet, leurs actions étant alors mises en commun, elles détiendraient alors un peu moins de 35% d’Alstom.

Problème : en droit boursier, lorsqu’on dépasse 30% des parts d’une entreprise, on est obligé de lancer une Offre Publique d’Achat (OPA) et de racheter 100% de ses actions. Il va sans dire que l’Etat n’aurait strictement aucun intérêt à débourser des milliards pour une entreprise dont il prendrait le contrôle avec seulement 35% des parts.

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© REUTERS

Que faire si c’est le cas ? La réponse est simple, il faudra que l’Etat revoit ses plans. Il peut décider de ne plus se faire prêter, mais de racheter les actions pour espérer passer cette fois sous le radar de l’AMF. Cela pourra poser problème puisque le fameux prêt consenti par Bouygues était justement né d’un désaccord sur le prix auquel l’Etat voulait racheter les actions.

Il peut aussi décider d’assumer cette action de concert avec Bouygues et ne pas racheter les 5% d’actions qu’ils comptait récupérer sur les marchés et donc ne pas dépasser les 30% qui provoquent l’OPA. Dans ce cas là, il ne serait pas complètement assuré de prendre le contrôle de l’entreprise. Avec un peu moins de 30%, il devrait néanmoins s’assurer une bonne assise.

Mais l’AMF va-t-elle agir ? C’est bien là toute la question. Dans les faits, il ne sera probablement pas très difficile d’observer la bonne entente entre l’Etat et Bouygues. Cela dit, parce que le dossier est hautement politique et que l’AMF est un service de Bercy, on peut tout à fait imaginer qu’elle préfère laisser passer l’affaire pour plus de tranquillité.

C’est justement ce qui inquiète fortement les représentants des petits porteurs qui détiennent des actions Alstom. Sur les marchés, la prise de contrôle d’une entreprise par l’Etat est rarement vu d’un bon oeil et il ne serait pas étonnant de voir le cours en bourse d’Alstom progressivement baisser si cela arrivait.

Qui plus est, le fait de ne pas constater une “action de concert” dans cette situation pourrait constituer un précédent inquiétant pour le monde des affaires en France. “Si l’AMF devait considérer qu’ils n’agissent pas de concert ce serait ouvrir la voie à toutes sortes de fraude à l’OPA obligatoire”, s’inquiète Colette Neuville, la présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), dans les Echos.

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