Alstom et Bombardier en passe de remporter le "contrat du siècle"

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avec Emmanuel Duteil
TRANSPORT - Les deux groupes, dont le carnet de commandes se vidait dangereusement, devraient avoir du travail pour près de quatre ans.

Le "contrat du siècle" pour renouveler les RER franciliens se précise. D’après le média spécialisé Mobilettre, Alstom et Bombardier devraient remporter ce contrat stratégique, une information confirmée par Europe 1. Les deux entreprises, qui voyaient leur carnet de commandes se vider dangereusement, ont donc de quoi faire tourner leur usine pendant quelques années. En revanche, la nouvelle est plus difficile à accepter pour le concurrent CAF, qui considérait avoir de bonnes chances de l’emporter. D’autant plus que l’ombre d’une décision politique plane sur ce choix.

Qu’est-ce que ce "contrat du siècle" ? L’agglomération parisienne ne cesse de vouloir privilégier les transports en commun au détriment de la voiture, mais cette politique se heurte à une limite, surtout pour les habitants des petites et grandes couronnes : un réseau RER vieillissant, une ponctualité aléatoire et des rames bondées sur certaines portions. Le syndicat des transports en commun de l’Ile-de-France (Stif) a donc décidé de rénover certaines lignes, voire de les prolonger comme c’est le cas du RER E, mais aussi de renouveler son matériel roulant. Un appel d’offres a été lancé en mai 2013, rapidement qualifié de "contrat du siècle", et pour cause : il s’agit de construire 270 rames de RER NG (nouvelle génération) d’ici 2022 pour un montant compris entre 3 et 3,5 milliards d’euros. 124 rames doivent notamment être affectées au RER E, tandis que la ligne D doit en obtenir une centaine.

Qui était sur les rangs ? Trois constructeurs ferroviaires se sont manifestés avec d’autant plus d’entrain que les commandes ferroviaires se font de plus en plus rares en France. Le premier candidat est Alstom, qui a fait parler de lui à la rentrée en menaçant de fermer son site de Belfort, obtenant de l’Etat une commande surprise d’une vingtaine de TGV.

Le Canadien Bombardier est également en lice et s’est associé à Alstom pour mettre toutes les chances de son côté. Comme son homologue français, Bombardier n’a pas hésité à envisager le pire s'il ne décroche pas rapidement un contrat : son usine française de Crespin, dans le Nord, n'a "aucune commande à produire au-delà du 1er trimestre 2019", soulignait mi-octobre le président de la filiale française. Or, à la différence d’Alstom, qui se porte très bien hormis en France, Bombardier rencontre de vraies difficultés et est en pleine restructuration.

Le troisième candidat est l’Espagnol CAF, qui possède une usine à Bagnères de Bigorre. Et comme la campagne présidentielle qui approche est propice aux appels à l’aide, CAF a également prévenu qu’il n’aurait presque plus de travail à la fin 2018 et qu’il avait désespérément besoin de commandes.

Pourquoi Alstom et Bombardier sont en passe de l’emporter. Confronté à trois entreprises en manque de commandes en France, l’Etat se savait très attendu et a décidé de faire appel à un cabinet d’audit pour comparer les offres et ainsi éviter d’être accusé de favoriser tel ou tel groupe. Cette étude aurait conduit à choisir l’offre du tandem Alstom – Bombardier car c’est la seule à pouvoir suivre le rythme imposé par l’acheteur : fournir 70 trains par an.

L’offre de CAF écartée malgré des tarifs plus compétitifs. Le constructeur espagnol aurait donc été écarté en raison de sa taille : il ne compte qu’une centaine de salariés en France, contre 1.000 pour Alstom à Valenciennes et 2.200 pour Bombardier à Crespin. Mais cette explication a du mal à passer auprès de CAF, qui assure qu’il aurait pu embaucher 500 employés et s’appuyer sur d’autres usines du groupe situées en Espagne. Si le choix d’Alstom-Bombardier se confirme, il serait d’autant plus difficile à accepter que CAF proposait un tarif plus compétitif que ses concurrents.

Une décision purement économique ou aussi politique ? Le constructeur espagnol est d’autant plus surpris qu’il affirme que l’audit commandé par l’Etat n’était selon lui pas prévu dans l’appel d’offres. De plus, ce dernier a été lancé sans prévenir au début du mois d’octobre, c’est-à-dire juste après l’affaire Alstom : plusieurs observateurs s'interrogent sur le timing de cet audit, qui peut être perçu comme une manière détournée de légitimer le choix du constructeur français.

Si le gouvernement a décidé de faire appel à un prestataire extérieur, c’est justement pour éviter ce genre de soupçon. Mais en écartant l'offre de CAF, l'Etat s'épargne aussi une probable polémique à quelques mois de l’élection présidentielle : 3.200 emplois menacés dans le Nord, à peine atténués par la promesse de 500 embauches dans le Sud-Ouest. En choisissant au contraire l’offre commune d’Alstom et de Bombardier, le risque de casse sociale est limité à 100 postes. Toutes ces raisons ont conduit CAF à se réserver le droit de contester le résultat de cet appel d’offres, une fois qu’il sera officialisé. Et à réitérer sa menace de fermer son site français si aucune commande ne lui est passée dans les mois à venir. La filière ferroviaire française est un dossier décidément explosif.