"Taxe Google" : le Royaume-Uni va-t-il montrer l'exemple ?

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IMPÔT - Il prépare une loi pour décourager les entreprises de multiplier les tours de passe-passe fiscal. Objectif : qu’elles paient des impôts là où sont réalisés les profits.

L’optimisation fiscale des entreprises multinationales est devenue tellement répandue que les Etats ne peuvent plus ignorer le problème. D’autant que la crise a aggravé les déficits publics et réduit les recettes fiscales. Les principales puissances économiques réfléchissent donc actuellement aux meilleurs moyens de s’attaquer aux pratiques douteuses de certaines entreprises, que ce soit au sein du G20 ou de l’Union européenne. Un changement de mœurs bien réel puisque un pays a déjà commencé à répliquer, et pas des moindres : le Royaume-Uni, qui est pourtant le centre névralgique de la finance en Europe et est dirigé par un gouvernement associant libéraux et conservateurs, vient d'annoncer une nouvelle législation baptisée "Taxe Google".

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L’annonce. "Nous allons faire en sorte que les grandes multinationales paient leur part", a annoncé mercredi le ministre des Finances, George Osborne, au Parlement lors de son discours d'automne sur la situation économique et budgétaire. "Certaines des plus grandes entreprises mondiales, notamment celles du secteur des nouvelles technologies, ont recours à des dispositifs complexes pour se soustraire à l'impôt (...). Ce n'est pas juste pour les entreprises britanniques ni pour les Britanniques", a-t-il martelé.

"Mon message est cohérent et clair: des impôts bas mais des impôts qui seront payés", a ajouté le ministre, avant d’annoncer : "aujourd'hui, j'introduis une taxe de 25% sur les bénéfices générés par les multinationales sur leur activité réalisée ici au Royaume-Uni et qu'elles font sortir artificiellement du pays". 25%, soit 5 points de plus que la fiscalité britannique sur les entreprises, de quoi dissuader ces dernières de vouloir "dévier" leurs profits.

Une réponse à l’évaporation fiscale. Si le Royaume-Uni s’empare de ce sujet, c’est que l’optimisation fiscale est devenue l’un des sports préférés des multinationales. Qu’il s’agisse du "sandwich hollandais", du "double irlandais", des "prix des transferts" et "des boites à brevet", le principe est le même : les entreprises réalisent un jeu d’écriture interne qui leur permet de ne pas réaliser leurs profits dans le pays où elles vendent leurs produits ou leurs services. Les profits sont, eux, artificiellement enregistrés dans une filiale installée dans un pays à très faible fiscalité, dont le Luxembourg. Dans les faits, c’est une coquille vide, mais d’un point de vue comptable, c’est là que la richesse se crée.

Le Royaume-Uni va donc contrer ces pratiques, pudiquement baptisées "optimisation fiscale", avec une "taxe sur les bénéfices détournés" (Diverted Profits Tax). Sur le papier, elle devrait rapporter près de 1,3 milliard d'euros au cours des cinq prochaines années, selon les estimations du gouvernement britannique.

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Mais beaucoup doutent déjà de son efficacité. Le gouvernement britannique est loin d’avoir gagné cette bataille fiscale. D’abord parce que le gouvernement n’a pas encore dévoilé comment il comptait arriver à ses fins : cette réforme doit être présentée le 10 décembre et entrer en application en avril 2015. Ensuite parce que les lobbies de la finance et des cabinets de conseils sera très fort, surtout dans un pays qui en a fait l’un de ses points forts.

Enfin et surtout parce qu’une telle mesure sera inefficace si elle est prise isolément, les entreprises n’hésitant pas à migrer vers un autre pays et à faire monter les enchères en cas de problème. Ce que n’a pas manqué de souligné la BBC dès mercredi : "taxer les multinationales est plus difficile qu’il n’y parait à première vue. Le problème est que l’impôt sur les entreprises multinationales nécessite un accord international. Or l’élaboration d’un tel texte est encore en cours".

"C’est une  bonne nouvelle : un grand pays passe aux actes". Président de l’ONG Transparence Internationale, Daniel Bègue est, lui, plus optimiste. "C’est une  bonne nouvelle : un grand pays passe aux actes. Ce n’est pas encore fait, ce n’est pas gagné mais c’est dans cette direction qu’on va. Et, à mon avis, cela se fera parce qu’il est inadmissible pour les gouvernements, et plus encore pour les citoyens, que les entreprises parmi les plus rentables au monde échappent à l’impôt partout où elles opèrent.", souligne-t-il au micro d’Europe 1.

Daniel Bègue le reconnait lui aussi, cette réforme sera inutile si le Royaume-Uni est le seul Etat à agir : "si un seul pays agit en ce sens, probablement ca ne marchera pas parce que l’entreprise décidera de délocaliser une partie de ses activités ou de ses résultats dans un pays tiers. Dans le cas du Royaume-Uni, cela se ferait probablement vers l’Irlande". Mais, justement, "les autres gouvernements vont agir dans la même direction : le G20, les pays membres de l’OCDE et ceux de l’Union européenne s’y sont engagés. Il faudra que les entreprises admettent qu’il y a une règle commune qui s’applique partout et qu’il n’y a pas d’échappatoire".

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Et la France dans tout ça ? Justement, l’Hexagone est aussi en train d’élaborer une manière de contrer les entreprises qui flirtent avec l’illégalité.  "L’article permettant de lutter contre ces phénomènes d’optimisation fiscale abusive par des multinationale a été discuté et approuvé en commission des finances de l’Assemblée nationale il y a quelques semaines", rappelle Daniel Bègue.

Et le président de Transparence International d’ajouter : "mais le gouvernement a demandé au Parlement d’attendre que se mette en route une initiative commune au niveau de l’Europe et on comprend bien pourquoi : si on est seul en Europe à taxer Google, Facebook, ces entreprises auront la tentation de traverser la frontière. En revanche, s’il y a une dynamique commune des grands pays de l’Union…"