La psychogénéalogie, ou l’influence des secrets de famille sur notre vie

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Anne Ancelin-Schützenberger, pionnière de la psychogénéalogie, s’est éteinte à l’âge de 98 ans. L’occasion de (re)découvrir son œuvre.

Les secrets de famille, les non-dits et les traumatismes de nos ancêtres ont-ils une influence sur notre vie ? Anne Ancelin-Schützenberger, mère de la "psychogénéalogie", cette discipline qui propose d'étudier cette question, en était convaincue. Elle s’est éteinte vendredi dernier à l’âge de 98 ans, ont annoncé lundi les éditions Payot. Docteur en psychologie, psychanalyste, professeure émérite à l’université de Nice, elle s’est consacrée à l’étude des liens entre les générations, et en a tiré des leçons multiples pour l’amélioration de notre vie.

"Je suis fière d'avoir inventé un outil qui permette de se raconter - et de transmettre à ses enfants - sa propre histoire en la comprenant", confiait-elle à Nice-Matin en 2008. "Ainsi faisant, nous pouvons nous libérer des emprises familiales qui nous empêchent de vivre selon notre désir. Et si nous avons des enfants, leur donner le meilleur de notre histoire familiale et de nous-mêmes", poursuivait-elle. Prudente, elle appelait également à ne pas faire d’interprétation excessive de ses hypothèses. Europe 1 vous propose trois manière de la (re)découvrir.

1) Avec des livres

Il y a 20 ans, Anne Ancelin-Schützenberger publie Aïe, mes aïeux !, un best-seller qui va avoir une influence considérable sur la psychologie. Approfondissant une hypothèse déjà émise en 1913 par Freud et Jung, Anne Ancelin-Schützenberger y explore le rôle de nos ancêtres sur notre psyche. Selon elle, les traumatismes ou les secrets de nos aïeux peuvent se transmettre sur plusieurs générations, même si nous ne les avons pas connus. En clair, nous continuons à payer leur dette, sans le savoir.

"C'est une sorte de ‘loyauté invisible’ qui nous pousse à répéter, que nous le voulions ou non, que nous le sachions ou pas, des situations agréables ou des événements douloureux. Nous sommes moins libres que nous le croyons, mais nous avons la possibilité de reconquérir notre liberté et de sortir du destin répétitif de notre histoire, en comprenant les liens complexes qui se sont tissés dans notre famille", résument les éditeurs dans leur présentation de l’ouvrage.

Dans Exercices pratiquesde psychogénéalogie (2013), Anne Ancelin-Schützenberger propose, à travers cinq leçons, de vous guider pas à pas pour vous aider à comprendre ces liens tissés avec vos lointains ancêtres. Enfin, dans son autobiographie Le Plaisir de vivre (2009), elle illustre certaines de ses théories dans le récit de sa propre vie, marquée par la guerre, la perte de sa sœur et de nombreuses rencontres décisives.

2) Avec une thérapie

Plus qu’une théorie, la psychogénéalogie est devenue une pratique thérapeutique, directement inspirée des travaux d’Anne Ancelin-Schützenberger et exercée aujourd’hui par des milliers de praticiens dans le monde. Lors d’une thérapie, le sujet est amené à dessiner son arbre généalogique devant un thérapeute, chargé de déceler un signe, un lapsus, une particularité.

" On met la psychogénéalogie à toutes les sauces, et on a tort "

"L'arbre agit en quelque sorte comme une interface de révélation. Il permet à la personne de symboliser et de mettre à distance les relations et événements familiaux", explique à l’Express Christine Ulivucci, psychothérapeute de formation et auteure de Ces photos qui nous parlent (ed. Payot). "Comme pour une analyse classique -laquelle s'arrête généralement à l'étude de l'enfance du patient sans prendre en compte les ramifications antérieures- le thérapeute n'a pas pour fonction de 'dire' à la place du patient'. Il ne le laisse pas errer non plus. Le but est d'accompagner, sans pour autant interpréter à la place de l'autre", poursuit la praticienne.

3) Avec prudence

La psychogénéalogie n’est pas une science exacte, et encore moins une médecine. Elle ne fonctionne pas chez tout le monde, et ne permet pas de guérir tous les maux. De nombreux travaux (une liste ici) sont venus en souligner les limites. Mais celle qui en parlait le mieux était peut-être Anne Ancelin-Schützenberger elle-même.

"On met la psychogénéalogie à toutes les sauces, et on a tort. Il faut commencer par choisir un bon médecin et, après seulement, on peut se poser la question :’Est-ce que ce mal dont je souffre n’est pas transgénérationnel ?’ En sachant que peu de choses le sont... Davantage que ce que l’on croit, certes, mais peu", expliquait-elle en 2009 à Psychologie magazine. "Pour moi, la psychogénéalogie n’est jamais qu’une intuition, une hypothèse qu’il s’agit de vérifier, avec les archives de l’armée, actes notariés, cimetières, actes de baptême, listes électorales, etc. Or, beaucoup de ceux qui se disent psychogénéalogistes ne vérifient pas les hypothèses qu’ils avancent. C’est cela qui est dangereux", insistait-elle. Et de conclure : "En fait, ils profitent du succès de la méthode. Donc, à ceux qui seraient tentés de faire un travail dans ce sens, j’ai tendance à dire : ‘Faites attention aux psychogénéalogistes qui font de la pub ou seulement de la psychogénéalogie’. On est d’abord médecin ou psychothérapeute ou psychologue et, ‘en plus’, on fait du transgénérationnel".

>> (Ré)écoutez la chronique d'Anne Cazaubon consacrée à cette discipline :