Être supporter fait-il du bien ?

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La qualification des Herbiers pour la finale de la Coupe de France, et la joie intense des supporters du club amateur, nous incitent à interroger l’intériorité des passionnés de sports, côté tribune.

Difficile d’imaginer la joie d’un supporter des Herbiers, après la qualification mardi soir du club de National pour la finale de la Coupe de France de football. "On est un coin paumé en Vendée, et on est en finale ! J'aurais jamais cru voir ça un jour", s’est enthousiasmé un supporter au micro d’Europe 1, au lendemain de la victoire. Avant d’ajouter aussitôt, avec ironie : "Chambly (l’adversaire du soir), ça a été un plaisir de t'humilier, même si ce n'est pas moi qui ai fait le sale boulot !". Ce ne sont, en effet, pas les supporters qui font le "sale boulot" sur le terrain.

Pourtant, la joie du public, qu’il soit derrière sa télé ou dans les tribunes, égale souvent, voire dépasse, celle des joueurs eux-mêmes en cas de victoire. Et lorsque c’est la défaite qui est au rendez-vous, l’intensité de la déception est tout aussi profonde. D’où notre question : être supporter fait-il du bien ? Que se joue-t-il dans le cœur (et le cerveau) de celui ou celle qui voue sa vie à un club de foot, un joueur de tennis ou à son équipe nationale ? Europe 1 vous aide à y voir plus clair.

Le sport pour se donner du sens et s’intégrer dans une communauté

Selon le Social Issues Research Center, institut de recherche en sociologie britannique, 38% des Français préfèreraient regarder un bon match de foot que d’avoir un rapport sexuel, et la proportion monterait même à 60% au Royaume-Uni. Et pour cause : au-delà de la joie de voir son équipe gagner, une vie de supporters peut s’accompagner de multiples bienfaits.

Une étude réalisée en 2009 par la Harvard Medical School auprès de 40.000 fans de "soccer" affirme que le fait d'être supporter améliore notoirement la sociabilité, l'estime de soi et l'optimisme. Le sport côté tribunes s’accompagne, en effet, d’un certain nombre d’émotions pouvant entraîner ces trois effets : le désir est entretenu toute la semaine, l’espoir est suscité avant chaque match, une solidarité se créé avec les autres supporters et les joueurs, et l’on est habité en permanence par le sentiment d’appartenir à une communauté et d’avoir une raison de vivre, fusse-t-elle minime.

" Dans les tribunes, il y a du savoir, de la culture, des traditions, de l’amour et de la joie "

Toute sa vie, le supporter acquiert et partage des connaissances sur son équipe, il organise son budget en fonction des matchs qu’il compte aller voir ou du maillot qu’il veut s’acheter, il traverse la France ou le monde pour suivre ses idoles… "Dans les tribunes, il y a du savoir, de la culture, des traditions, de l’amour et de la joie. Il suffit d’y passer cinq minutes pour s’en rendre compte", résume le philosophe Jean-François Pradeau, auteur de Dans les tribunes, éloge du supporter.

Selon de nombreux psychologues, toutes ces émotions répondent aux besoins fondamentaux de l’être humain, ceux dont il a besoin pour se sentir heureux. Et elles seraient en partie responsables de la production d’ocytocine ou de testostérone, hormones pouvant provoquer un sentiment de bien-être et de confiance en soi. Sans compter l’adrénaline, qui peut entraîner un sentiment d’extase, d’énergie, et qui est produite en abondance chez tous ceux tenus en haleine devant un match capital et/ou à suspens.

Les bienfaits de la guerre, sans la mort ?

"L’affection que porte un supporter à son club est de l’ordre de l’état amoureux : irrationnelle. Il lui transfère son idéal du moi. A chaque match, le spectateur regarde se rejouer le conflit fondateur où s’affrontent l’amour et la violence", décrypte le psychiatre Guy Maruani, dans le magazine Femme actuelle. L’individu "renonce à la toute-puissance pour se heurter à la réalité : l’équipe gagne ou perd. Accepter la ‘noble incertitude’ du jeu est l’occasion de surmonter ce conflit fondateur et de devenir adulte", enchaîne encore le spécialiste. Selon lui, le sport peut remplacer un autre phénomène qui, dans le passé, permettait précisément ce passage à l’âge adulte : la guerre. "Le sport est la façon dont l'Occident a voulu faire la guerre sans jamais donner la mort. […] Il se nourrit de la pulsion de vie, amenant à la création de lien avec les autres ; et de la pulsion agressive, qui consiste à prendre le pouvoir sur les autres. Nécessaire à la performance, cette pulsion doit être sublimée à travers le respect des règles", explique le psychiatre.

" Il y a au cœur de l’expérience des tribunes une dramaturgie de l’antagonisme et de l’affrontement "

S’il n’est pas aussi dévastateur que la guerre le sport peut, tout de même, s’accompagner de son lot de violences. Parfois, en effet, le sentiment d’appartenance à un groupe peut virer au phénomène identitaire. L’équipe adverse est alors perçue comme un ennemi. Et si le résultat du match ou la décision de l’arbitre ne va pas dans le sens souhaité, l’amour de son équipe risque bien de se transformer en la haine de l’autre. Nous sommes alors "capables de supprimer toute forme d’empathie, en déshumanisant l’autre, en le réduisant parfois à moins qu’un animal", rappelle le psychologue Frans De Waal.

"Il y a au cœur de l’expérience des tribunes une dramaturgie de l’antagonisme et de l’affrontement. Mais elle n’a rien d’un déchaînement irraisonné", nuance toutefois le philosophe Jean-François Pradeau dans Slate. Et de poursuivre : "L’insulte des tribunes est une insulte cultivée, qui est nourrie à une véritable histoire sociale. […] Leur fonction cathartique est connue. L’essentiel est que les virages (la partie des tribunes où se situe les ‘ultras’) restent des virages, des marges, confinées et compatibles avec l’ordre social". D'après le philosophe il faut donc distinguer "l'ultra", qui n'est pas nécessairement violent au sens physique du terme (bien que ces codes soient perçus comme agressif), du hooligan à proprement parler qui n'hésite pas à passer à l'acte.

Supporter, une activité qui n’est pas sans danger

Au-delà de la violence, la déception de la défaite peut plonger le supporter dans une tristesse profonde, qui s’étend à mesure que son équipe ou son idole s’enfonce dans les mauvais résultats. Selon des études citées par Le Parisiens, une défaite de son pays en Coupe du Monde s’accompagne même souvent de dommages bien réels. "Le 22 juin 1996, après l'élimination des Pays-Bas par la France en quarts de finale de l'Euro, on a constaté une hausse de 51% des accidents cardio-vasculaires chez les Hollandais. Outre-manche, le 30 juin 1998. Après que l'Angleterre eut cédé face à l'Argentine, en huitièmes de finale du Mondial, on a constaté une hausse des arrêts cardiaques de 25% chez les Anglais", lisait-on dans un article du quotidien en date de 2010.

La déception, le stress, une surdose d’adrénaline mêlée à une éventuelle consommation d ‘alcool et de malbouffe peuvent expliquer ce risque. Avant chaque compétition, les médecins conseillent donc aux supporters de se préparer presque comme leurs sportifs préférés : dormir 7 à 9h par nuit, faire des siestes, manger équilibré, éviter les boissons excitantes ou alcoolisées…