Yann Queffélec : "Je suis devenu écrivain pour ne jamais être académicien"

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Aurélie Dupuy , modifié à
L'auteur breton vient de publier "Naissance d'un Goncourt" qui explique comment il est devenu écrivain. Et pour Europe 1, il raconte de l'intérieur l'obtention de son prix Goncourt en 1985.
INTERVIEW

C'est près de l'eau, sur l'Île de la cité, à Paris, que le Breton Yann Queffélec a donné rendez-vous à Frédéric Taddéï, dimanche, pour l'émission En balade avec. Ils se rejoignent au square du Vert-Galant, bordé par la Seine. "Dès que je suis à Paris, je n’ai qu’une hâte : me trouver dans un lieu où j’ai vaguement l’impression d’être à la mer", commente l'écrivain, pourtant né à Paris, mais qui fait "toujours un peu croire " qu’il est né à Brest.

"Mon cœur bat pour l’Ouest. Je suis en permanence tourné vers nos racines brestoises", avoue-t-il. "Je ne me suis jamais senti Parisien. J’ai toujours l’impression d’habiter cette ville en touriste, c’est un lieu d’escale pour moi. Mais je trouve cette ville absolument captivante."

SEINE

Yann Queffélec sur les quais de Seine. La proximité de l'eau lui est nécessaire.

Une tempête et une rencontre. Le romancier vient de sortir Naissance d’un Goncourt, 33 ans après avoir reçu le prestigieux prix pour son deuxième roman Les noces barbares. Dans ce nouvel ouvrage, il raconte sa naissance d'écrivain à la faveur d'une "rencontre irréelle à Belle-Île-en-Mer" en 1978. Après une sortie en voilier, compromise par une tempête, il rentre au port tant bien que mal, écorchant au passage bateaux et quais. Sur le quai justement, une femme lui tape sur l’épaule et lui dis 'Toi, chéri, tu as une gueule d’écrivain'. Il se trouve que c’est Françoise Verny, grande éditrice qui deviendra...la sienne. Lui visait plutôt de faire un tour du monde : "Je voulais devenir marin-écrivain à la manière d’Henry de Monfreid."

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Je n’ai aucune envie d’aller à l’Académie française

Revenus au présent, les deux marcheurs arrivent devant l’Académie et Le Louvre. Lui demander s'il voudrait devenir un "Immortel" le fait rire. "Je n’ai aucune envie d’aller à l’Académie française. Je trouve ça beau, c’est une sorte d’institution britannique un peu démodée et bizarre en France. Je ne me vois absolument pas avec une épée sur le côté ou porter un uniforme. J’ai l’impression que ça tuerait mon esprit artistique. Je suis vraiment devenu écrivain pour ne jamais être académicien", tranche-t-il.

Une éditrice maternelle. Le romancier a pourtant pris son temps. Cinq ans passent entre la rencontre de son éditrice et la parution de son premier roman, Le charme noir. "Françoise voulait m’asseoir sur une branche, je n’ai cessé de la scier (…). Elle me donnait rendez-vous chez elle. J’arrivais au pied de l’immeuble à la bonne heure, je ne montais pas. J’avais peur", raconte-t-il.

Jusqu'au jour où elle met la main sur lui et son manuscrit. Le processus est lancé. "La mer m’a présenté une éditrice assez maternelle à l’époque où ma mère me manquait." L'écrivain a perdu sa mère à 20 ans. "Je m’étais toujours senti en deuil de cette femme qui, elle, croyait en moi. Et la seconde qui a cru en moi, c’est Françoise Verny." Sa vie change alors. "J’ai laissé tomber l’immense page bleue océanique pour la petite page blanche, finalement aussi vaste qu’un océan." Son projet de tour du monde lui trotte néanmoins toujours en tête. 

Un père admiré mais des relations conflictuelles. Vers le jardin des Tuileries, l'écrivain continue d'aborder le cercle familial. S'il parle beaucoup de sa mère dans son dernier livre, il ne fait qu’évoquer son père, l’écrivain Henri Queffélec. "J’ai écrit un livre sur mon père, L’homme de ma vie, où je dis à quel point j’aimais cet homme, je l’admirais. En même temps, je ne me suis pas toujours très bien entendu avec lui. Je n’avais pas envie de revenir sur cette période-là", explique-t-il, avant que le duo ne fasse une pause au bistrot Rivoli Park où, si l'on en croit l'écrivain amateur de viande rouge, on sert "le meilleur steak tartare de la capitale".

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La mer m’a présenté une éditrice assez maternelle à l’époque où ma mère me manquait

"Les familles sont capables de tout". Les deux compères font ensuite chemin vers Chez Drouant, là où sont remis les prix Goncourt. Cette nouvelle marche permet d'aborder les thèmes favoris du romancier : "J’aime la violence, la tendresse et l’humour. Je pense que ce sont les trois pôles qui caractérisent ma façon d’écrire. Mais tout ça reste extrêmement mystérieux."

Il est aussi très intéressé par la famille. "J’ai l’impression que tout se joue dans une famille, que l’essence est là, que les sentiments sont les plus forts, les jalousies, les secrets, les non-dits. Tout cela nourrit l’imagination d’un écrivain. Les familles sont capables de tout. J’en suis convaincu. J’écris en ce moment une histoire de famille qui me charme", glisse-t-il. Le secret pèse, il n'en dira pas plus.

DROUANT

La porte tambour de Chez Drouant.

"J'ai flambé" l'argent du Goncourt. Chez Drouant, il passe la porte tambour. Ici, le bar porte son nom. Il y rejoint Claudine Lemaire, attachée de presse. Venir ravive le souvenir de sa consécration. Au "bonheur absolument incroyable de pouvoir se dire 'je l’ai eu'", se mêle un sentiment de honte vis-à-vis de son père, qui n'avait pas obtenu le prix durant sa carrière. "Comme dirait Pagnol, l’argent du Goncourt ne me tenait pas au doigt. J’ai flambé cet argent et cette chance. (…) J'avais l’impression de ne pas le mériter. Mais j’ai bien aimé qu’il passe par mes mains si peu de temps qu’il y soit resté."

BAR

Au bar Queffélec chez Drouant en compagnie de Claudine Lemaire.

"Je ne savais pas comment lui dire". L'argent était d'ailleurs le moindre de ses "soucis". Le plus complexe a été d’annoncer son prix à son père. "Je ne savais pas comment faire. J’étais sûr que ça n’allait pas lui faire plaisir. Je suis parti à pied. J’ai filé à l’anglaise, j’ai traversé la moitié de la capitale, et voyant une cabine téléphonique totalement pourrie, je suis entré et là, j’ai eu le courage d’appeler mon père. Et même au téléphone, je ne savais pas comment le lui dire. Et c’est lui qui m’a dit 'je sais pourquoi tu m’appelles. Tu as eu le Goncourt. La femme de ménage vient de me le dire'."