Quand la politique s'invite au Festival de Cannes

L'équipe du film "Aquarius", lors de la montée des marches au Festival de Cannes
L'équipe du film "Aquarius", lors de la montée des marches au Festival de Cannes © AFP
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Censure, protestation, choix forts : le Festival de Cannes accumule les anecdotes politiques tout au long de son histoire. Retour  - non exhaustif - sur ces instants où le cinéma est passé au second plan.

Un invité surprise a fait son arrivée mardi après-midi sur la Croisette : la politique. Lors de la montée des marches, l'équipe du film brésilien Aquarius, en compétition officielle pour le 69e Festival de Cannes, a brandi une banderole et des affiches, dénonçant la destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff. "Un coup d'état a lieu au Brésil" ou encore "Le Brésil n'est plus une démocratie", pouvait-on lire sur les feuilles brandies par les acteurs.

Ce n'est pas la première fois que la politique débarque du côté de la quinzaine cannoise. Retour historique  - non exhaustif - de ces instants où le cinéma est passé au second plan.

1956 : Nuit et Brouillard retiré de la compétition officielle
Jusqu'en 1972, il n'y avait pas de comité de sélection pour choisir les films en compétition. Chaque pays désignait le long-métrage qui allait le représenter sur la Croisette. Pour 1956, la France décide qu'il s'agira de Nuit et Brouillard d'Alain Resnais, un documentaire sur la déportation et les camps d'extermination nazis.

En Allemagne de l'Ouest, ce choix ne passe pas et le gouvernement d'outre-Rhin demande le retrait du film, invoquant la nécessité de réconciliation entre les deux pays. Le gouvernement de Guy Mollet accède à la demande, mais seulement à moitié. Nuit et Brouillard est retiré de la compétition officielle, mais reste projeté à Cannes.

1968 : un festival interrompu

Mai 1968 s'invite même sur la Croisette. La 21e édition du Festival s'ouvre le 10 mai mais rapidement, les événements parisiens atteignent le tapis rouge cannois. Des personnalités du cinéma comme François Truffaut, ou encore Jean-Luc Godard, demandent l'arrêt des festivités, ce que refuse Robert Fabre Le Bret, alors délégué général du Festival de Cannes.

À mesure que la colère gronde à Paris et que les grèves se succèdent, le ton se durcit à Cannes. Des membres du jury démissionnent et le 18 mai, la projection de Peppermint frappé de Carlos Saura, est fortement perturbée. Ce jour-là, la rébellion est d'ailleurs menée par le réalisateur lui-même. Il refuse que son film soit projeté. Finalement le lendemain, le Festival est officiellement arrêté et aucun prix ne sera remis.

1981, 1995, 2004, 2008 : des Palmes au goût politique

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Il arrive que la politique s'invite jusque dans le palmarès. En 1981, alors que la Pologne est en pleine mutation politique, Andrzej Wajda livre L'homme de fer. Le film rend compte de l'Histoire, qui se joue alors aux chantiers navals de Gdańsk, en pleine création du mouvement Solidarność. Difficile de ne pas voir un acte politique dans l'attribution de la Palme d'or à ce film. En 1995, la remise du précieux sésame à Underground, d'Emir Kusturica, provoquera une vive polémique. Plusieurs intellectuels comme Alain Finkielkraut ou encore Bernard-Henri Lévy reprochant au réalisateur ses accointances avec le régime de Slobodan Milošević.

En 2004, Quentin Tarantino et son jury récompensent Fahrenheit 9/11, de Michael Moore. Un documentaire très critique envers l'administration Bush. En 2008, Sean Penn, alors président du jury, affirme lui, en préambule de la compétition, "qu'il faudra que le réalisateur, ou la réalisatrice, de la Palme d'or se soit révélé très conscient du monde qui l'entoure". Avec le jury, il remettra la Palme d'or à Entre les murs, de Laurent Cantet.

2010 : la politique en pagaille

L'année 2010 est marquée par plusieurs coups d'éclat politique. Dès le 15 avril, Thierry Frémaux et le Festival de Cannes témoignent de leur soutien au réalisateur Jafar Panahi, en l'invitant comme membre du jury cannois alors qu'il est emprisonné en Iran, accusé d'avoir réalisé un film contre le régime de son pays. Le jour de la cérémonie d'ouverture, un siège est d'ailleurs laissé vide, aux côtés des autres membres du jury, en son honneur.

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Pendant la quinzaine, c'est au tour de Draquila - L'Italie qui tremble de Sabina Guzzanti, de susciter de vives réactions. Le long-métrage est très critique envers le gouvernement Berlusconi et la manière dont il a géré les conséquences du séisme d'Aquila, en 2009. Le ministre de la Culture italien, Sandro Bondi, décide de boycotter, purement et simplement, le festival.

Quelques jours plus tard, une manifestation a lieu non loin du Palais des Festivals. Des élus UMP, des militants FN, des harkis, des pieds-noirs et d'anciens combattants protestent contre la projection du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Ils estiment que le film dégrade l'image de la France durant la guerre d'Algérie. Le lendemain, c'est du côté de la Russie qu'il faut se tourner pour assister à la polémique politique du jour. Un collectif, de 97 personnalités du cinéma russe, accuse le réalisateur Nikita Mikhalkov, en compétition avec Soleil trompeur 2, de détournement de fonds publics et dénonce sa proximité avec Vladimir Poutine.