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Au micro de La France bouge, sur Europe 1, le réalisateur et producteur Pierre Jolivet estime que la diversité artistique du cinéma français pourrait s'estomper avec l'arrivée d'un acteur économique comme Netflix, et la contrainte d'une diffusion à très large échelle.
LE TOUR DE LA QUESTION

Le géant américain Netflix lorgne désormais le cinéma Français. La plateforme de vidéos à la demande, qui a indiqué le 13 février avoir dépassé la barre des 5 millions d'abonnés en France, a annoncé en septembre rouvrir un bureau à Paris, après une première tentative en 2014. Si Netflix produit déjà des séries françaises, la plateforme, forte de son triomphe aux Oscars avec Roma, sacré meilleur film étranger, pourrait aussi accorder une plus large part à la production de films.

Ces films français estampillés Netflix. Netflix a déjà produit un premier film français, Je ne suis pas un homme facile, sorti sur la plateforme le 12 avril dernier. Dans les cartons de l'Américain, plusieurs autres projets cinématographiques sont en cours de préparation dans l'Hexagone ou sur le point d'être diffusés, comme Banlieusards du rappeur Kery James, dont le tournage a commencé à l'automne, Paris est une fête, réalisé par Elisabeth Vogler grâce à une campagne de crowdfunding, ou encore La Grande classe avec les youtubeurs Jérôme Niel et Ludovik.

Le poids du réalisateur. Mais pour le réalisateur et producteur Pierre Jolivet, cette percée encore timide pourrait bientôt ébranler le modèle français. "En France, un film est terminé si le réalisateur et le producteur se mettent d'accord. Dans les contrats Netflix, s'il y a un conflit entre les deux, c’est le producteur qui décide. C'est une bascule qui va beaucoup plus loin", pointe-t-il au micro de François Clauss, dans Le Tour de la question sur Europe 1.

Un risque de formatage... "Si la France est un si grand pays de cinéma, c'est parce que l'on a un schéma qui préserve la diversité", souligne Pierre Jolivet qui rappelle que la France est le deuxième pays exportateur de films derrière les Etats-Unis. "Si les agents mondiaux nous imposent en France et en Europe une façon légale de dire : faites ce que l'on vous dit et pas ce que vous voulez, là on peut être dans une dérive extrêmement dangereuse", met-il en garde. "Quand ils auront gagné totalement le marché, ils feront ce qu'ils veulent, c'est un enjeu politique et même un enjeu de civilisation."

... pour convenir au plus grand nombre. Il craint ainsi de voir le cinéma français, une fois soumis à ce type de producteurs, céder à une forme d'uniformisation, elle-même motivée par l'appât du gain : le réalisateur se verrait contraint par une grille de diffusion la plus large possible, et pour s'assurer du respect de ce cahier des charges, le montage final reviendrait au producteur. "Maintenant, parce que ça va être diffusé dans le monde entier, il ne faudra pas qu'il y ait de nu parce que les Chinois n'aiment pas quand il y a du nu, il ne faudra pas être contre la religion catholique parce que ça va sortir au Brésil, etc…", énumère Pierre Jolivet. "À partir du moment où vous mettez votre doigt dans cet engrenage, ça se termine quand ?", interroge-t-il.

"Produire local pour une diffusion mondiale". Ce schéma prévaut déjà sur la réalisation des séries. "La production de Netflix est de plus en plus internationale. L'un des mots d'ordre de Reed Hastings [le fondateur de Netflix, ndlr] est de produire local pour une diffusion mondiale", relève Capucine Cousin, journaliste spécialisée économie, auteur de Netflix & Cie : les coulisses d’une (r)évolution, également invitée du Tour de la question. C’est sur ce schéma d'ailleurs que la plateforme a produit à l'été 2018 sa première série indienne, Le Seigneur de Bombay, tournée en langue hindie mais diffusée partout dans le monde.