"L'attrape-cœurs", le livre culte d'un auteur qui s'est retiré du monde

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Aurélie Dupuy , modifié à
J.D. Salinger, l'auteur culte de l'adolescence, s'est éloigné du monde à l'âge de 34 ans, malgré un succès retentissant dès la parution de son unique roman.

Salinger, Jerome David de son prénom, est devenu aussi culte que le roman qu'il a publié : L'Attrape-Cœurs. Mais sans doute en partie à cause d'un paradoxe : alors que son livre connaissait un succès immédiat, lui décidait de se terrer loin du monde. Denis Demonpion, journaliste, est l'auteur d'une enquête biographique sur l'écrivain intitulée Salinger intime, enquête sur l'auteur de L'Attrape-cœurs. Invité dans La voix est livre, il a analysé les raisons du succès et de ce renoncement à une vie publique.

La parole au héros adolescent. Le roman, publié en 1951, a gagné le statut de livre culte et a été diffusé à ce jour à plus de 35 millions d'exemplaires. Si le succès est au rendez-vous immédiatement, c'est que la jeunesse y trouve un écho, pense Denis Demonpion. "C'est la première fois dans la littérature mondiale que les héros adolescents n'ont pas de narrateur. Salinger donne la parole à son héros Holden de bout en bout. C'est lui qui est le témoin de tout ce qui se passe", il raconte New York, ses rencontres, et donne son propre jugement : "et ça c'est totalement nouveau." Une nouveauté qui permet l'identification des lecteurs pour un livre grand public, néanmoins devenu une représentation du roman adolescent. "Beaucoup ont trouvé un porte-parole à travers Holden. On dit toujours que l'adolescence est un passage un peu difficile où on cherche sa sexualité, sa voie dans la vie. Holden le fait avec un panache et un humour extraordinaires, mais c'est tout à fait réel. On se retrouve dans ce récit", dépeint le journaliste. S'ajoute à ce tableau un langage très parlé, brut et actuel.

Le traumatisme du débarquement. Avec ce succès d'étoile filante, "tout le monde veut savoir qui est ce Salinger", souligne le spécialiste. "Il est un peu connu d'un certain milieu littéraire parce qu'il a publié des nouvelles dans des grandes revues américaines comme Esquire ou Cosmopolitan, mais ce n'est pas grand public. Avec L'Attrape-cœurs, il fait un coup phénoménal". Le romancier n'en est d'ailleurs pas dupe : "La chance, c'était ma bonne fortune de ne pas avoir eu à publier pour gagner ma vie", écrit-il dans une lettre adressée à un ami. Cette chance lui offre le luxe de se retirer, voire même de se retrancher.

A 34 ans, après son unique roman, Salinger s'exile ainsi dans sa maison du New Hampshire. Il y meurt le 27 janvier 2010. Une fuite qui s'explique notamment par son histoire. Salinger a en effet pris part au débarquement de Normandie et en est sorti traumatisé et désenchanté. "Il portait L'Attrape-Cœurs depuis 1941, il a mis dix ans à composer ce livre. Le regard qu'il avait sur la vie était très naïf, très conquérant et il a découvert l'horreur", retrace Denis Demonpion.

En dehors du monde. Quand le livre sort, il fait pourtant une séance de photos, sourit. Mais, vite, il se retranche, au moins pour deux raisons : "Il est vite rattrapé par son envie d'écriture, qu'il considère comme un acte solitaire et qui nécessite un grand isolement. Une autre chose l'exaspère dans la presse : que l'on puisse modifier son texte." Mais malgré, ou en partie à cause de cette volonté de se cacher, il devient aussi mythique que son livre. "C'est à partir du début des années 60 que Time et Life ont lancé des limiers à ses trousses. Mais le voisinage le protégeait, donnait des fausses pistes. Là où il habite, à Cornish, le sentier cadastral qui mène à la forêt jusqu'à sa maison n'est même pas indiqué."

Certes protégé, l'écrivain n'était pas totalement seul. "Il avait une famille, deux enfants. Il a toujours eu des amis, peu nombreux, mais de très fidèles et durables." La légende veut qu'il ait continué à écrire jusqu'à sa mort, voire qu'il y ait quelque part une pile d’œuvres. Denis Demonpion nuance l'attrait d'un tel mythe :  "Il a écrit. Il y a eu un incendie chez lui en 1992 mais la salle où il travaillait a échappé aux flammes. Mais on devine à sa correspondance que quelque chose est mort en lui. Il est dans une espèce de quête spirituelle pour essayer de comprendre pourquoi le monde est ce qu'il est."