Kery James : "Le théâtre est plus périlleux mais aussi plus excitant"

Kery James continue de jouer sa pièce "A Vif".
Kery James continue de jouer sa pièce "A Vif". © BERTRAND GUAY / AFP
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Le rappeur joue sa pièce "A Vif" au théâtre du Rond-Point à Paris depuis la rentrée, une expérience qui lui permet de porter ses engagements différemment.
INTERVIEW

C'est un nouveau pari pas gagné d'avance dans lequel s'est lancé Kery James. Le "tonton" rappeur engagé, 700.000 albums vendus en 25 ans de carrière, vient de publier A vif, aux éditions Actes Sud-Papiers, un texte qu'il joue depuis le début de l'année et jusqu'au 1er octobre sur la scène du théâtre du Rond-Point, à Paris, avant une tournée un peu partout en France. L'artiste met face à face deux avocats pour une plaidoirie autour d'une question à la fois simple dans son énoncé et complexe dans sa résolution : "L'État est-il le seul responsable de la situation des banlieues ?". 

Deux visions de la France. L'occasion pour Kery James, et son comparse acteur Yannick Landrin, de livrer deux versions radicalement opposées de la France. "C'est comme un concours d'éloquence, on répond par oui ou non à la question. L'avocat blanc, Yann, répond 'oui' alors que moi, qui incarne un avocat noir, Souleyman Traoré, je réponds 'non', l'État n'est pas le seul responsable des problèmes des banlieues", explique Kery James, à propos de cette pièce aux allures de joute verbale.

Le théâtre, plus enrichissant que les concerts. Lui qui a construit toute sa carrière dans le rap se dit ravi de cette nouvelle expérience. "Le théâtre est beaucoup plus dangereux. On est sans parachute, on voit directement la réaction du public, donc c'est plus périlleux pour un artiste. Mais c'est aussi beaucoup plus excitant, les réactions sont très spontanées. C'est aussi une forme de drogue quand le public se lève et applaudit. On a envie de recommencer", raconte Kery James, qui fêtera ses 40 ans à la fin de l'année. Surtout, il apprécie le rapport avec les spectateurs. "C'est beaucoup plus intéressant (que les concerts, ndlr) car on a un public assis, prêt à écouter les paroles et les idées. C'est une écoute que je trouve exceptionnelle."

Pièce politique. Sur scène, le rappeur incarne donc un avocat qui refuse de se laisser aller aux explications banales et victimaires. "Sans nier qu'il existe des discriminations et du racisme, j'ai toujours été contre la victimisation et j'ai toujours dit que la réponse à donner, c'est de se battre deux fois plus". Une continuité pour celui qui n'a eu de cesse, à travers ses textes et ses engagements associatifs, de dénoncer les inégalités en banlieue.

Dans Racailles, titre phare de son dernier album Mouhammad Alix, Kery James s'en prenait verbalement aux hommes politiques, corrompus et déconnectés. "La jeunesse peut avoir confiance dans la classe politique si la classe politique se renouvelle", précise-t-il aujourd'hui. Les mauvais élus, à commencer par ceux qui ont été condamnés, "ne doivent pas être représentatifs de toute la classe politique. Il faut des gens qui nous parlent, qui comprennent nos problèmes, pas dans les banlieues, mais les problèmes de tous les Français". La nouvelle majorité ? "Ce n'est pas de ce genre de renouvellement dont je veux parler", lance-t-il, dénonçant notamment "les salaires mirobolants" des classes dirigeantes.

"Construire des ponts". A sa façon, Kery James se voit donc comme un porte-parole de ces jeunes de banlieue dont la voix ne porte pas toujours. "Un artiste, s'il n'a rien à dire, n'a pas à prendre la parole. Le sens de l'art, à travers les époques, a toujours été de faire bouger la société, parfois avec légèreté à travers le rire, comme a pu le faire Coluche. De mon côté, je me suis efforcé depuis le début de ma carrière, à construire des ponts entre les deux France", affirme le rappeur.

Un combat qu'il porte désormais sur la scène d'un prestigieux théâtre parisien. "Jouer au théâtre à Paris quand on vient de banlieue, ça contribue déjà à rassembler ces deux France, à mon sens. Tous les soirs, on voit des habitués du théâtre du Rond-Point et d'autres spectateurs qui viennent de banlieue, dont certains voient une pièce pour la première fois", souligne Kery James. Déjà une victoire pour lui, avant d'aller directement jouer A Vif en banlieue, notamment au Blanc-Mesnil.