Festival de Cannes : comment Netflix ranime le débat sur la chronologie des médias

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Guillaume Perrodeau
Le 70e Festival de Cannes est marqué par le débat qui porte sur la présence de deux films Netflix en compétition officielle. L'événement relance un serpent de mer du cinéma français : la question de la chronologie des médias.

Depuis l'annonce de la sélection officielle, la polémique ne cesse de grimper. Deux films en compétition officielle (Okja de Bong Joon-ho et The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach) - et donc possiblement Palme d'or - ne sortiront pas dans les salles françaises. Un paradoxe qui remue un vieux débat entre les professionnels du secteur : celui de la chronologie des médias.

La chronologie des médias, créée pour protéger les exploitants. Au début des années 1980, Jack Lang, alors ministre de la Culture, tranche. Inquiétés par l'arrivée de la vidéocassette et ses conséquences sur la fréquentation des salles de cinéma, les exploitants veulent en effet que l'État légifère pour établir un délai entre la sortie d'un film sur grand écran et sa sortie en vidéocassette. Via la loi du 29 juillet 1982, l'État Français instaure alors des délais à respecter pour protéger les salles. C'est ce que l'on appelle "la chronologie des médias".

La chronologie des médias, ce débat français. Aujourd'hui, après des dizaines d'années d'évolution du secteur (implantation de la télévision, arrivée du DVD, développement du téléchargement illégal), la chronologie des médias instaure donc des délais différents en fonction des acteurs concernés. Quatre mois entre l'exploitation d'un film en salles et sa sortie en VOD ou DVD, 10 ou 12 mois pour leur diffusion sur les chaînes payantes comme Canal+, 22 ou 30 mois pour les chaînes gratuites (en fonction de leur part dans la production du film), et enfin 36 mois en VOD par abonnement, c’est-à-dire sur Netflix ou Canalplay.

Ces délais font régulièrement l'objet de débat dans un secteur en proie à de profondes et rapides mutations. Et la sélection de deux films financés et/ou distribués par Netflix, en compétition officielle dans le plus grand festival du monde, a relancé les discussions entre professionnels du secteur. En effet, Netflix refuse de sortir ces deux films en salles en France, car la plate-forme devrait alors respecter le délai d'attente de 36 mois entre l'exploitation en salles et l'offre à ses abonnés français.

Micmac sur la bobine. Une Palme d'or privée de salles de cinéma dans le pays même où se tient le festival ? Impensable pour certains, et notamment le président du jury cette année, Pedro Almodovar, qui devra livrer un palmarès le 28 mai prochain. Pour lui, "ce serait un énorme paradoxe que la Palme d'or ou un autre prix à un film ne puisse pas être vu en salles". La sélection de ces deux films, qui ne feront pas l'objet d'une exploitation en France, suscite également l'ire de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), qui représente les exploitants. "Netflix est un passager clandestin du Festival de Cannes. Il ne met pas un centime dans la création en France ni dans le monde. C'est scandaleux !", fustige Richard Patry, président de la FNCF.

Mardi, les scénaristes français ont appelé à revoir la réglementation concernant les fenêtres de diffusion des films sur les différents supports, à savoir "la chronologie des médias et la contribution des géants du Net, tels que Netflix, au financement de la création". "Force est de constater que les pratiques évoluent tant du point de vue des professionnels que des spectateurs. Et cela nous oblige à agir !", estime la Guilde des scénaristes.

De son côté, le Festival a pris les devants pour l'édition 2018 et a d'ores et déjà indiqué que les films en compétition l'année prochaine devront préalablement s’engager à être distribués dans les salles françaises. Une mesure qui ne résout pas le problème de fond sur lequel la grande famille du cinéma est plus que jamais divisée...