Faut-il aller voir "The Square", la Palme d'or du dernier Festival de Cannes ?

© Bac Films
  • Copié
Mathieu Charrier et Guillaume Perrodeau , modifié à
Le film de Ruben Östlund a divisé la critique à Cannes et également la rédaction d'Europe 1. Nous vous proposons donc deux avis, afin de vous faire le vôtre.

Palme d'or du dernier Festival de CannesThe Square sort mercredi sur les écrans français. Déjà au Festival de Cannes, le film du réalisateur suédois Ruben Östlund avait divisé les critiques du monde entier, ce qui ne l'a pas empêché de s'emparer de la distinction suprême sur la croisette. Et à Europe 1 aussi nous sommes partagés.

POUR (Mathieu Charrier, journaliste culture pour Europe 1) : The Square n'est pas un film forcément facile à aborder, mais le long-métrage propose une véritable satire, drôle et cynique, de notre société. The Square est en fait le nom d'une oeuvre d'art. Une sorte de carré de néons, posé sur des pavés. Un élément important de l'exposition "postmoderne" sur la tolérance que prépare Christian (Claes Bang), personnage principal, dans son musée d'art contemporain. Sauf que Christian se fait voler son portefeuille un matin. Lorsqu'il part à sa recherche, on se rend alors vite compte que dans sa vie privée, il est en fait l'opposé de cette tolérance qu'il prône. Il est égoïste et centré sur lui-même.

The Square est un film drôle, teinté d'humour noir. On rigole souvent parce que l'on est gênés. Le long-métrage est dans la même veine que le précédent film de Ruben Östlund , Snow Therapy, où une famille était ensevelie par une avalanche. Le père fuyait en sauvant son téléphone et abandonnait femme et enfants, sauf que tout le monde survivait et évidemment, on lui reprochait alors cette fuite.

Dans The Square, on retrouve ces idées. À titre d'exemple, dans une scène de grand banquet où tous les invités dînent en costume et robe de soirée, un homme qui mime un gorille, Terry Notary, agresse sexuellement une femme. Sauf que personne ne réagit, gêné, pensant qu'il s'agit aussi d'une oeuvre d'art. C'est aussi ça The Square : une critique du politiquement correct, un vrai miroir de nos sociétés.

CONTRE (Guillaume Perrodeau, journaliste culture pour Europe1.fr) : L'idée de The Square est simple, limpide même. De la même manière qu'un Michael Haneke, Ruben Östlund s'attaque à la bourgeoisie de nos sociétés européennes. Le cinéaste transforme donc Christian, directeur d'un musée d'art contemporain, en porte-drapeau de nos sociétés malades. Rien ne semble trouver grâce aux yeux du cinéaste suédois dans l'existence de son personnage principal.

Le film a pour problème essentiel de fonctionner comme une boucle. Ruben Östlund enchaîne des dizaines de séquences qui n'ont que pour ultime but d'arriver à la même conclusion : l'homme bourgeois occidental est égoïste, individualiste, tantôt vulgaire, tantôt lâche. À cela s'ajoute une conception tout aussi binaire - entre autres - de l'art contemporain ou encore des instances médiatiques. Le problème du film n'est pas tant son manichéisme, ce qu'il cherche à démontrer ou dire, mais plutôt comment il choisit de le faire.

Ainsi, The Square pourrait aussi bien s'étaler sur une trentaine de minutes que sur plus de quatre heures : il n'y a aucune évolution dramatique dans le film du cinéaste suédois. Partant d'un point A, tout a pour objectif de déboucher sur ce même point A à la fin d'une scène, et ce ainsi de suite pendant 145 minutes, comme si la répétition donnait plus de force à la même idée.

Cette inertie à l’oeuvre pourrait offrir des séquences plus heureuses si Ruben Östlund faisait réellement le parti d'en jouer ou de s'en moquer. Mais The Square fait, au contraire, preuve d'un très grand esprit de sérieux. Décor minimaliste et clinique, économie de montage, séquences étirées au maximum, tout est fait pour solenniser des idées pourtant courtes, donnant le sentiment que non seulement The Square avance dans une seule direction, mais en plus avec de gros sabots.

The Square se voudrait mordant et grinçant, mais en délaissant l'idée de progression au profit d'une vision totalement statique de son univers, le long-métrage verse au contraire dans l'immobilisme et le conservatisme. Dès lors, que reste-t-il d'un film qui tourne en rond sur la même piste ? Pas grand-chose, si ce n'est le spectacle de sa propre performance et de son auto-satisfaction. Le comble, tout de même, pour un film qui fustige le nombrilisme.