Faut-il aller voir "Chien" de Samuel Benchetrit ?

© Paradis Films
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Guillaume Perrodeau
L'écrivain adapte son propre livre au cinéma. L'histoire d'un homme qui perd tout, et devient peu à peu un chien. Europe 1 vous livre son avis sur ce film singulier.

Chien était un livre, publié en 2015. C'est maintenant un film, adapté par son propre auteur, Samuel Benchetrit, en salles mercredi. Malgré les apparences, ce nouveau long-métrage n'a rien d'une comédie. Chien est avant tout une farce tragique, qui s'enfonce peu à peu dans le drame.

Chien commence pourtant dans le rire, franc et sincère. Dans une première scène, le personnage de Vanessa Paradis (Hélène) congédie son mari Vincent Macaigne (Jacques Blanchot) en inventant une maladie. La présence de ce dernier lui donne de l'urticaire. Jacques doit partir, s'éloigner. "Mais de manière temporaire", assure Hélène, dont le mensonge ne semble duper personne, si ce n'est Jacques, qui croit dur comme fer à un retour prochain dans le foyer familial. Le personnage de Vincent Macaigne n'est pourtant pas bête. Il est seulement un individu dénué de vice. Un défaut absent chez lui, qu'il ne voit donc pas chez les autres.

Le rejet de sa femme en appellera d'autres. Car l'histoire de Chien - et de Jacques donc - est celle d'un déclassement tragique. On assiste à la mise à l'écart sociale (mariage, emploi, domicile) d'un personnage, qui subit docilement ce qui lui arrive, sans sursaut ni réaction. Et à force de tout retirer à quelqu'un, dans une société qui ne fait pas de cadeau, quel avenir reste-t-il à la personne concernée ? Le cinéaste-écrivain répond à la question en poussant l'idée de la fable politique au maximum : puisque l'on traite certaines personnes comme des animaux, elles le deviennent.

On rit donc surtout jaune devant les déconvenues de Jacques. On éprouve même une certaine émotion face à cet être au bord du gouffre, qui ne prend pas conscience qu'il avance vers le trou. Car Jacques peut avoir les épaules chargées de tous les malheurs du monde, il se contente des choses les plus simples. Le côté "chien" renvoie ici à un aspect plus positif : heureux comme un animal qui n'a pas besoin de grand-chose pour se satisfaire.

C'est lorsque Samuel Benchetrit pousse son idée jusqu'à son paroxysme, avec l'esprit de caricature qui convient, que Chien est justement le meilleur. Dès lors que le long-métrage accumule les scènes entre satire et émotion, l'assemblage entre politique et comico-tragique fonctionne. Pour autant, ce choix paraîtra sans doute trop théorique pour certains, pas assez incarné. D'autant plus que Samuel Benchetrit fait le choix d'un style clinique, épurant au maximum ses plans, donnant à l'image un aspect presque irréel.

Puis le film bascule quand - comme l'annonce le synopsis (pas de spoiler donc) - le patron d'une animalerie (Bouli Lanners) recueille Jacques. Ce moment de l'intrigue, où Chien se poursuit uniquement sur un simple rapport maître à bête, plombe la dynamique du film. Ce "jeu" entre Bouli Lanners et Vincent Macaigne était-il une étape nécessaire pour accomplir totalement l'idée de métamorphose d'humain à chien aux yeux du réalisateur ? La parabole animale ne semblait pas avoir besoin de cet épisode pour exister.

C'est en tout cas à partir de cet instant que le long-métrage se prend davantage au sérieux, bascule dans le drame gênant et que la force politique qui soutenait le film se dégonfle. Moins original et plus terre-à-terre, Chien perd en bizarrerie et en poésie. Peut-être que le long-métrage aurait dû se contenter de ce qu'il offrait jusqu'alors, avant que Jacques n'arrive dans le chenil : à savoir une fable politique simple et triste, peut être naïve, mais débarrassée de cruauté gratuite.