Comment la littérature anticipe la réalité

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Guillaume Perrodeau , modifié à
Dans "Le Titanic fera naufrage", le professeur de littérature Pierre Bayard s'intéresse à l'anticipation littéraire : de son expression la plus actuelle jusqu'à ses conséquences.

Des dizaines d'écrivains ont raconté des événements avant qu'ils ne se produisent. Il existe ainsi tout un ensemble d'ouvrages dont la particularité tient à ce fait : ils ont anticipé la réalité. Dans Le Titanic fera naufrage, en librairie le 3 octobre, le professeur de littérature Pierre Bayard s'intéresse à certains d'entre eux. Grâce à ses analyses, il développe une réflexion sur l'idée que toutes les anticipations ne se valent pas, mais qu'elles devraient faire l'objet d'une attention particulière de la part de nos hommes et femmes politiques.

Kafka, Houellebecq, Tom Clancy, Jules Verne... Avec Le Titanic fera naufrage, Pierre Bayard poursuit sa réflexion singulière au sein du monde littéraire. Tout au long du livre, l'essayiste multiplie les exemples précis d'anticipations, de Franz Kafka à propos du totalitarisme, jusqu'à Jules Verne au sujet d'inventions, en passant par le roman de Morgan Robertson qui raconte le naufrage du Titanic avec quatorze années d'avance. Une dizaine d'exemples frappants, détaillés et analysés sur plusieurs pages, comme cette pièce de Frankétienne, Melovivi ou le piège. Deux mois avant le séisme à Haïti en janvier 2010, le dramaturge avait décrit, en détail, la catastrophe qui allait frapper l'île.

Politique, instructif et divertissant.Le Titanic fera naufrage ne se contente pas d'égrener les exemples. En effet, chaque cas cité est pour lui l'occasion de préciser l'anticipation littéraire, sa diversité, ses limites. Il évite ainsi le livre-pensum pour proposer un essai didactique. Un parti-pris utile, notamment lorsque Pierre Bayard s'attaque à la question cruciale de savoir pourquoi et comment des écrivains ont pu décrire, par avance, des événements ou des évolutions de société.

Sans jamais imposer de réponse, le professeur de littérature préfère ouvrir le débat de manière instructive, vers plusieurs possibilités : théorie de la coïncidence, loi de Murphy, physique quantique et même univers parallèles. Rappelant à juste titre, "que ce qui apparaît aujourd'hui comme irrationnel peut trouver demain une explication scientifique".

Pour une République des lettres. Dans la dernière partie de l'ouvrage, Pierre Bayard utilise ses constats pour étayer ses préconisations. Le Titanic fera naufrage se transforme en un essai politique, mais toujours paré de vertus ludiques.

À titre d'exemple, une idée, parmi d'autres, traverse tout le livre et trouve son point culminant dans le chapitre intitulé La République des lettres : il faut que les hommes politiques se donnent les moyens d'interpréter les anticipations proposées par les écrivains. Par exemple, un auteur comme Jules Verne a multiplié les prémonitions et prédictions concernant des objets tels que l'avion, l'hélicoptère, le cinéma, la radio ou encore le réchauffement climatique. Il est donc probable que d'autres anticipations, qui n'ont pas encore eu lieu, soient présentes dans ses livres. Selon Pierre Bayard, les politiques auraient donc tout intérêt à s'intéresser davantage à la littérature et ses anticipations. Elles pourraient se révéler fortes utiles, pour le bien futur de nos sociétés.

Depuis presque vingt ans maintenant, ce professeur de littérature française à l'Université de Paris VIII propose une pensée originale, amusante, mais toujours argumentée, autour des notions de genre littéraire, de la lecture et de l'écriture. En 1998, Pierre Bayard publiait ainsi un livre (Qui a tué Roger Ackroyd ?) dans lequel il expliquait pourquoi et comment Agatha Christie s'était trompée de meurtrier dans son propre livre Le meurtre de Roger Ackroyd. Même chose en 2008 avec Arthur Conan Doyle dans L'Affaire du chien des Baskerville. Quant à son essai le plus célèbre, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? (2007), il y désacralisait l'idée qu'un ouvrage doit être lu jusqu'à la dernière page et que l'on doit, forcément, l'avoir lu pour en parler.