Charlie Hebdo : "Je ne suis pas dans le pardon ou le non pardon"

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C.P.-R.
Sigolène Vinson, rescapée de l’attentat contre Charlie Hebdo, sort Courir après les ombres, roman dédié à l’une des 12 victimes de l’attentat. L’occasion de revenir pour la première fois sur les ondes sur cette journée du 7 janvier. 
INTERVIEW

Oui, elle "va mieux", "bien", même. Rescapée de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, commis le 7 janvier dernier par les frères Saïd et Chérif Kouachi, Sigolène Vinson était l’invitée de Caroline Roux sur Europe 1, mercredi matin. C’est la première fois qu’elle accepte de témoigner sur les ondes sur cette journée qui a bouleversé sa vie.

"Vivre avec  la tristesse". Alors que depuis les attentats de janvier, le terrorisme occupe une place prégnante dans l'actualité en France, la journaliste tente de se préserver. "J’essaie de me garder un peu de l’actualité, mais je n’y échappe pas. […] Mais je n’ai pas besoin de ces images ou de ces informations pour revivre" ce mercredi 7 janvier, a déclaré la chroniqueuse judiciaire de Charlie Hebdo qui confie vivre "avec la tristesse, un gros chagrin".

Encore vivante "du simple fait que j’étais une femme". Epargnée par l’un des deux terroristes après qu’il a braqué sa kalachnikov sur elle, cette ancienne avocate a encore des interrogations : "Je ne sais pas encore, je ne saurais peut-être jamais si c’était Saïd ou Chérif Kouachi. Je me pose la question, même si les spécialistes disent qu’il ne faut pas que je me la pose". 

Si elle a eu la vie sauve, c’est sans doute "du simple fait que j’étais une femme", explique la jeune femme. "On ne tue pas les femmes", lui a lancé l’un des frères Kouachi, racontait-elle dans Le Monde, une semaine après les faits.

Hantée par un regard. Plus de huit mois après, elle se souvient encore du regard perçant du terroriste, masqué sous une cagoule noire. "J’aimerais qu’un jour ce regard n’ait plus d’emprise sur moi". "Il avait le regard doux et les yeux veloutés, de grands yeux noirs", précise-t-elle. A l’époque, cette description dans son témoignage au Monde lui avait valu de nombreuses critiques.  

"On m’a beaucoup reproché d’avoir dit ça, mais la vérité c’est qu’il avait beau avoir tué dix personnes et braqué son fusil d’assaut sur moi, il avait le regard doux", insiste-t-elle, loin de l’imaginaire collectif qui voudrait qu’un terroriste ait nécessairement "un air mauvais et fronce les sourcils". "J’avais un être complexe en face de moi. Forcément complexe, car il tue dix personnes (ndlr ; au total, 12 personnes sont mortes dans la tuerie contre le journal) et m’épargne", analyse-t-elle.  

En mémoire de Bernard Maris.Ce 7 janvier, elle avait emporté avec elle un manuscrit. Le manuscrit de son livre Courir après les ombres, qui sort pour la rentrée littéraire et dont le théâtre des événements est l’Afrique. Cet ouvrage qui décrit les ravages de la mondialisation est dédié à son collègue Bernard Maris, l’une des 12 victimes de l’attentat.

L’économiste avait lu cette fable à dimension politique avec attention : "Je l’ai dédié à Bernard parce que je lui avais demandé de le lire. J’y parle un peu d’économie, et n’étant pas spécialiste, j’avais besoin qu’il me dise si le système économique que je tentais de mettre en place dans le livre était viable", rapporte l’ancienne avocate.

"Absurde, surréaliste". Si les souvenirs sont encore vifs, pour Sigolène Vinson, la question du pardon "ne se pose même pas". "C’est curieux, je suis au-delà de ça ou en deçà du pardon. Le fait est arrivé, c’était complètement absurde et surréaliste. Je ne suis pas dans le pardon ou le non pardon", a-t-elle conclu.