Le miel français pourrait devenir un produit de luxe

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Noémi Marois , modifié à
HONEY, HONEY, HONEY - Avec une production en chute libre en France, doit-on s’attendre à un miel hors de prix ces prochaines années ?

Un monde sans miel ? On n’y est pas encore mais en France, on pourrait s’en approcher. L’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) a tiré la sonnette d’alarme jeudi dernier. Les apiculteurs ont enregistré cette année une baisse de récoltes de 50 à 80% dans plusieurs régions. "La production nationale est cette année la plus faible de notre histoire", s’est inquiétée l’Unaf, à cause d’une météo dégradée et d’une mortalité importante des abeilles. Le miel français peut-il devenir un aliment en voie de disparition ? Alors que le miel étranger est à un prix compétitif, le miel français sera-t-il considéré bientôt comme un produit de luxe, comme peuvent l’être le caviar ou la truffe ? 

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Une production en chute libre.Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1995, les apiculteurs français ont produit 32.000 tonnes de miel. En 2011, la production est tombée à 20.000 tonnes. En 2013,  ils n’en fournissaient plus que 15.000 tonnes. 

Et encore en 2014, pour Henri Clément, apiculteur et porte-parole de l'Unaf, on est  "plus proche des 10.000 tonnes que des 15.000", confie-t-il à Europe 1. "Normalement, la récolte suffit à faire des stocks qui durent une année. Là, pour la première fois, la soudure avec la prochaine récolte de 2015 ne se fera pas". 

Le miel français rare et donc cher ? "Le miel français se fait de plus en plus rare et cela risque de s’aggraver dans l’avenir", admet Henri Clément de l’Unaf. Dans le même temps, la consommation des Français, elle, a tendance à augmenter, 40.000 tonnes par an actuellement. La conséquence, c’est que depuis 5 ans, "le prix des miels français augmentent de 20% en moyenne chaque année", avance à Europe 1 Vincent Michaud, président du syndicat français des miels.

De là à parler d’un produit de luxe ? Le mot ne fait pas peur à Thomas Descombard, président de Apidis, premier producteur de miel français avec 4.500 ruches, contacté par Europe 1 : "Le miel français ne va pas devenir un produit de luxe, il l’est déjà. Son coût s’envole. Il y a 10 ans, il était encore compétitif mais là, ce n’est plus le cas. Vous avez vu le prix du miel de sapin ou de lavande ? Ce n’est plus un produit grand public", déplore-t-il. Le miel de lavandin est en effet le plus cher de France, vendu en moyenne 20 euros/kg.  La raison, selon Thomas Descombard, tient aux coûts de production trop élevés.

Le syndicat français des miels, pour sa part, se refuse à parler de produit "de luxe" : "On est loin du prix du caviar et puis, le rapport entre la qualité, les bienfaits de ce produit sur la santé, et le prix reste très intéressant". 

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Le miel français apprécié à l’étranger. Quelques apiculteurs profitent de la rareté de certains miels, réputés aussi pour leur goût particulier. Ils exportent à l’étranger où le miel français est apprécié. Il en va ainsi du miel de lavandin que seule la France produit, du miel de Bourgogne qui a du succès aux Etats-Unis pour son aspect crémeux et de certains parfums peu communs, comme le thym ou le romarin. Le miel français est en partie "un produit gourmet", selon Thomas Descombard.

Alors que la production française chute, les exportations, elles, ont augmenté de 58% depuis 10 ans, passant de 2.500 tonnes à 4.000 tonnes. Pour Vincent Michaud du syndicat français des miels, le développement des classes moyennes en Chine et en Russie explique ces ventes à l’étranger. Elles apprécient ce produit français, qui plus est réputé pour maintenir une bonne santé.

Rareté car de moins en moins d’apiculteurs. En 1994, on comptait en France près de 85.000 apiculteurs. En 2010, ils n’étaient plus que 42.000, soit une baisse de 40% en 20 ans. Aujourd’hui, la grande majorité d’entre eux sont des amateurs, possédant une poignée de ruches. Seulement 2.250 sont considérés comme professionnels, c'est-à-dire qu’ils possèdent au moins 150 ruches.  

Avec une production en chute, "Il y en a qui désormais prennent un autre travail d'octobre à mars pour tenir financièrement", assure Henri Clément de l’Unaf. D’autres, selon Thomas Descombard de la société Apidis, mettent leur matériel en vente car leurs colonies meurent ou ils partent à la retraite sans trouver de repreneur. Et même si l’apiculture reste un métier de passion, les vocations sont découragées par les mauvais chiffres de la filière. Dans le département de l’Indre, c’est l’hécatombe : de vingt apiculteurs il y a 20 ans, on est passé à cinq aujourd’hui.

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Et de moins en moins de ruches. Le nombre de ruches a baissé de 20% de 1994 à 2010, passant de 1,3 million à 1 million. En sachant que de nombreux apiculteurs luttent pour remplacer les colonies d’abeilles qui meurent, 300.000 par an, rappelle Henri Clément : "Ils rachètent des colonies, ce qui représente un investissement. Ou bien, ils en créent à partir de colonies qu’ils possèdent mais cela entraîne une baisse de leur productivité". 

La solution, manger du miel étranger ? Comme la France ne produit pas assez pour satisfaire la consommation des Français en miel, elle importe la moitié de ce qui est consommé dans l’Hexagone. En 2012, 25.500 tonnes de miel ont ainsi été achetées à l’étranger, dont un quart en provenance d’Espagne et 17% en provenance de Chine. En 1995, ces importations ne pesaient que 6.000 tonnes.  

Le miel étranger a un avantage de taille : il coûte moins cher. Selon la FNSEA, le miel chinois coûte en moyenne 1,30 euro au kilo, le miel argentin, 2,2 euros quand le miel français en coûte 3. Pour la grande distribution, qui cherche les prix bas, le comparatif ne se fait pas en faveur de la France. 

Pour l’Unaf, la consommation de miel étranger n’est pas un drame mais "si les abeilles chinoises sont capables de faire du bon miel, elles ne pollinisent pas nos cultures et ça, c’est un problème pour la biodiversité en France". 

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