"Les Héritiers" : rencontre avec la prof qui a inspiré le film

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CINÉ - Le film raconte comment un concours national d'histoire va redonner confiance en eux à des élèves de seconde, dissipés et décrocheurs. 

Anne Anglès enseigne au lycée Léon Blum, à Créteil. Elle est la prof qui a inspiré Les Héritiers. Le film sur les écrans le 3 décembre raconte comment cette enseignante, devenue Mme Guéguen à l'écran et incarnée par l'impressionnante Ariane Ascaride, décide de faire passer un concours national d'Histoire à sa classe de seconde la plus faible. On est alors en 2008-2009 et le concours d'histoire porte sur un sujet grave : 'Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi'. Les élèves, des adolescents de banlieue turbulents, poussés par la confiance de leur enseignante, vont construire un projet commun qui va les changer à jamais. Parmi eux, Ahmed Dramé. C'est lui qui a soufflé cette histoire à la réalisatrice Marie-Castille Mention-Shaar. Comme elle, Europe 1 a rencontré Anne Anglès, la prof qui a inspiré Les Héritiers.

Les Héritiers - Bande annonce officiellepar UGCDistribution

"Je n'imaginais absolument pas". "Le film m'a bouleversée parce qu'il m'a projetée cinq années en arrière" raconte Anne Anglès, cette professeure, d'apparence discrète, mais au tempérament résolu. L'enseignante croisait régulièrement son ancien élève, Ahmed Dramé dans les couloirs du lycée, mais sans savoir ce qu'il préparait. En fait, Ahmed Dramé s'est mis en tête d'écrire un scénario, qui s'intitule à l'époque Le vrai combat, et qui va servir de base de travail au film de Marie-Castille Mention-Shaar. "Je n'imaginais absolument pas qu'Ahmed avait été à ce point marqué par son année de seconde", confie encore Anne Anglès. "On sait que, parfois, on a un impact auprès de certains élèves et je voyais qu' d'Ahmed était assez enthousiaste", explique-t-elle humblement, mais non, elle n'avait pas conscience de l'ampleur de cet engagement. "Parce qu'il ne me l'a pas dit !", s'exclame-t-elle.

De son côté, le jeune comédien arrive enfin à tutoyer sa prof, après de multiples rencontres autour du film. Mais il est resté longtemps très intimidé, avoue-t-il.

Ahmed Dramé

Photo : Ahmed Dramé

Quelle part de fiction ? Dans le film, on a l'impression que les élèves viennent même sur leur temps libre. "En fait, pour qu'un tel projet soit accepté par ce type de classe, si vous demandez aux élèves de venir en dehors des cours, je crois que ça relève de l'utopie", explique Anne Anglès, un doux sourire aux lèvres. "J'avais la chance de bénéficier d'heures d'histoire des arts, puisque c'est l'enseignement que ces élèves avaient choisi. Il y avait aussi de l'éducation civique et je savais que le concours de la résistance avait une telle portée civique que c'était justifié. Ce sont donc ces quatre à cinq heures par semaine que nous avons consacrées au concours. Tout s'est vraiment fait sur un temps scolaire en réalité", précise Anne Anglès. Un autre point sur lequel le film prend quelques libertés : "En fait, contrairement à ce qu'on découvre dans le film, toute la classe a participé au concours", raconte Anne Angles. Dans Les héritiers, l'un des élèves se rétracte et renonce en cours d'année.

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La réalisatrice a suivi les cours d'Anne Anglès. La réalisatrice avait besoin de la vision d'Anne Anglès. Pour mieux comprendre, Marie-Castille Mention-Shaar a donc suivi de nombreux cours au lycée Léon Blum, notant compulsivement les phrases de cette prof dont "l'autorité bienveillante" l'a frappée, a confié la réalisatrice à Europe 1. C'est ainsi qu'Anne Anglès a pu découvrir avec stupéfaction ses propres mots dans la bouche de l'actrice Ariane Ascaride. "Son texte est repris de phrases que je peux dire, ou que j'ai dites à des élèves", sourit-elle. Une phrase revient dans le film : "Je ne vous imposerai pas une morosité qui n'est pas la mienne". Ce sont bien mes mots, sourit Anne Anglès, qui avoue "ne plus oser prononcer sa phrase fétiche depuis le film."

A-t-elle aimé se voir à l'écran ? C'est Ariane Ascaride qui s'est glissée dans le costume d'Anne Anglès. Qu'en a pensé cette dernière ? "J'ai assisté au premier jour de tournage. Je suis revenue de temps en temps, mais pas trop souvent parce que ça a correspondu à une période où l'inconscient a beaucoup travaillé, la nuit, le jour ! Le premier jour, quand j'ai vu Ariane jouer, j'avais presque envie de lui donner des conseils", avoue Anne Anglès, qui avait envie de lui glisser des "Interviens ! Fais sauter la casquette de prof!" La "vraie" prof a finalement beaucoup apprécié le travail de la comédienne. "Elle porte un regard bienveillant et ferme sur les élèves. Je crois que c'est important que les adolescents, ici les acteurs, aient l'impression d'avoir en face d'eux quelqu'un qui sait où il veut les mener."

"Je voulais que ces élèves passent de l'avoir à l'être." Dans le film, comme dans la réalité, la classe d'Anne Anglès a remporté le premier prix du concours. Est-ce que ça aurait été différent si la classe avait échoué ? Pour Anne Anglès, ce n'était pas du tout l'objectif. "Pour moi, l'objectif était que ces élèves passent de l'avoir à l'être. Je voulais qu'ils apprennent à être et à être ensemble, collectivement, qu'ils s'approprient des valeurs, celles de ceux qui ont eu la chance de survivre à ce crime de masse, à ce génocide, parce qu'on remue des choses quand même extrêmement lourdes", explique-t-elle, avant d'ajouter :"Je trouvais important que nos élèves soient les dépositaires de ces valeurs-là, qu'ils comprennent les enjeux et que le monde des apparences dans lequel nous vivons n'est certainement pas le monde dans lequel on doit se reconnaître et dans lequel on doit espérer vivre."