Bernard Stamm : "Le sauvetage s'est bien fini mais ne s'est pas très bien passé"

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Jean-Philippe Balasse avec Benjamin Harroch , modifié à
INTERVIEW E1 - Le skipper suisse raconte comment son coéquipier et lui ont été secourus par un navire norvégien alors qu'ils étaient en grande difficulté dans la Manche.    

Le skipper suisse Bernard Stamm, recordman de la traversée de l'Atlantique en solitaire sur un monocoque de 60 pieds, et son coéquipier, Damien Guillou, qui étaient en difficulté dans la nuit de lundi à mardi dans la Manche à bord du voilier "Cheminées Poujoulat", ont été secourus par un navire norvégien mardi matin, mais leur bateau, mis à l'eau en mai 2010, a coulé. Europe1 a pu le joindre. Interview. 

La première question est très simple : comment ça va ? 

Et bien ça va beaucoup mieux. On a fini la pression, on est au chaud et en sécurité, donc ça va bien. 

Vous vous dites que c'est passé très près, cette fois ?

Ah oui, c'était vraiment pas loin. Ça se termine bien, mais c'était pas loin d'un drame.

Vous êtes un marin très expérimenté. A quel moment sur votre bateau avez-vous pris conscience que vous étiez vraiment en danger ?

Il se trouve que le bateau s'est cassé en deux. Avant, je ne me sentais pas spécialement en danger...

Comme ça, d'un coup ? 

Ah bah, ça s'est cassé... Le bateau est arrivé au fond d'une vague et il s'est cassé en deux.

Bernard Stamm : "Ça se termine bien, mais c...par Europe1fr

On essaie de se mettre à votre place, Bernard Stamm : quand on est en pleine nuit, qu'on prend une grosse vague et que le bateau se casse en deux, qu'est-ce qu'il se passe dans la tête ?

Déjà, il faut essayer de faire le maximum de choses pour rester le plus longtemps possible en sécurité.

C'est vraiment l'instinct de survie qui prime dans ce genre de situations ?

Il y a forcément un instinct de survie parce que le sauvetage s'est bien fini mais il ne s'est pas très bien passé...

C'est-à-dire ?

Au début, d'un côté j'ai déclenché les balises de détresse, il y a d'abord un avion qui est parti sur une zone pour nous trouver. Après nous avoir trouvé, avoir fait coordonner les recherches, ils ont d'abord dépêché un hélicoptère, ce qui était extrêmement dangereux. 

On a essayé de vous hélitreuiller et ça n'a pas marché, c'est ça ? 

Ça n'a pas marché. D'abord on a du se mettre dans le radeau de sauvetage, mais on n'a jamais réussi à s'éloigner du bateau. Il y a l'allonge qui était coincée, donc on n'a jamais pu réaccéder à notre radeau de sauvetage. Après, ils ont essayé de nous hélitreuiller de notre bateau, mais la mer était trop grosse et le plongeur qui descend le long du câble n'a jamais réussi à mettre les pieds sur le bateau. Et après, on a essayé de s'éloigner à la nage au bout d'un filin, mais ça s'est fini à la nage sans filin, à revenir en catastrophe au bateau. C'était extrêmement dangereux.

Le temps doit vous paraître interminable dans ces situations ?

Ouais, il y a des moments interminables, mais il y a toujours quelque chose à faire pour essayer de rester en sécurité. Après l'hélicoptère, c'est l'avion qui a vu qu'on n'avait plus de bip donc il a essayé de nous larguer les radeaux de sauvetage. Il en a largué cinq, qu'on a jamais réussi à atteindre. Et puis après, il y a le cargo qui est arrivé.

Et là c'est un grand soulagement ? 

Ben non, enfin pas tout de suite, parce que ça semblait beaucoup plus logique de le faire par l'hélico. Le cargo, ça n'allait pas être beaucoup plus simple. Il y avait beaucoup de vent, ce ne sont pas des bateaux faciles à manœuvrer. Au premier passage, on n'arrive pas à avoir la ligne. Tout ça, tous ces choix répétés, finalement le bateau il s'abîme vite.

Et il a fini par couler ?

Il commençait à vraiment couler. Après, le cargo a fait un deuxième passage. Une personne à bord a envoyé une longue ligne, que Damien a réussi à attraper et à laquelle on a amarré le bateau. On a commencé à se faire ramener vers l'avant du cargo où un filet pendait le long de la coque. On était tirés, à rentrer dans les pièces cachées du bateau, à être des moments sous l'eau, des moments en l'air...

Quand on écoute votre récit, toutes ces cartouches comme vous dites, toutes ces tentatives... Il n'y a pas un moment où vous vous êtes dit : "C'est pas possible, ils ne vont pas nous récupérer" ?

Si, si, si. A des moments, c'est sûr que ça ne se présentait pas bien.

Aujourd’hui, avec le recul, vous avez dû laisser votre bateau derrière vous... Vous y repensez à votre monocoque ?

Evidemment. Tout ça, c'est très frais. Là, il y a une chose qui est sûre, c'est qu'on est content d'être ici, content d'être en vie.

Et on est très contents de vous écouter !

Ah, c'est sympa.

Et maintenant, vous allez faire quoi ? Reconstruire un bateau, repartir en mer ?

Là, je ne sais pas. D’abord, il faudrait qu'on débarque et qu'on rentre chez nous, qu'on aille rassurer un peu nos proches.