Saint-Tropez, ses yachts, ses stars… et sa décharge d'armement

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Noémi Marois avec Jacques Therence , modifié à
SANTÉ - Au large de la Côte d'Azur, une décharge d'armement datant des deux Guerres mondiales pourrait devenir une menace pour la région.

À une quinzaine de kilomètres au large de la ville jet-set, dorment sous la mer plusieurs tonnes d'armement. À la fin de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale, les armées ont en effet décidé d'immerger leurs stocks jugés trop dangereux. Problème, ces armements constitués de métaux lourds commencent à rouiller et pourraient représenter à l'avenir un danger.

64 décharges sur le littoral français. Saint-Tropez, Nice, Toulon ainsi qu'une soixantaine d'autres points sur les côtes françaises, indiqués parfois sur les cartes marines, comportent des décharges d'armement. À la fin de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième Guerre mondiale, les armées alliées ont vu dans la mer le meilleur endroit pour se débarrasser de stocks dangereux. 

François Galgani de l'Ifremer Bastia explique à Europe 1 : "Sur le plan environnemental, c'est la démarche qui pendant des années était un petit peu inconsciente. On allait immerger les armements en mer parce qu'on pensait que c'était un réceptacle. Ça ne correspond pas forcément à des volumes très important. Parfois, c'est simplement des cartouches ou quelques obus". 

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1,5 milliard de tonnes en mer du Nord. En 1945, lors de la conférence de Postdam, les Alliés ont décidé de regrouper leurs armes chimiques afin d'organiser leur immersion en mer Baltique, en mer du Nord et en mer Méditerranée, mais aussi au large du Japon, des États-Unis et dans l'océan Indien.  La mer a aussi servi de décharge pour les autres types d'armes jusqu'en 1970. Selon les experts, 1,3 milliard de tonnes de déchets militaires dorment en mer du Nord. 

Et il y aurait en tout 1,5 million de tonnes d'armes chimiques sous mer actuellement dans le monde. Ce n'est qu'une estimation. Les archives militaires sont en effet imprécises sur le sujet, quand elles ne sont pas classées secret-défense.

obus sous marin déminage

Obus sous-marins

Brûlures et difficultés respiratoires. En Allemagne et aux Pays-Bas, dès les années 1950, des premiers cas de brûlures se sont manifestés chez des baigneurs, dus à leur rencontre avec du gaz moutarde. En Pologne, c'est 24 accidents graves qui sont survenus. C'est à Bari, en Italie, où les armements chimiques font le plus de victimes : 232 accidents depuis 1945. Les pêcheurs s'y disent victimes de brûlures sur les mains, suite à la remontée de leurs filets. Leurs yeux piquent et ils souffrent de difficultés respiratoires. Il faut savoir que le gaz moutarde ne remonte pas sous sa forme originelle à la surface des eaux mais sous forme de masse poisseuse.

Ces armes chimiques sont aussi dangereuses pour la filière alimentaire. Quid des poissons qui ont côtoyé dans les fonds marins des armes chimiques ?

Des gaz mortels. Les arsenaux chimiques des deux Guerres mondiales comportent trois principaux gaz. Le gaz moutarde est particulièrement dangereux pour les yeux (il peut rendre aveugle) et les poumons (il crée un œdème qui entraîne la mort). L'arsine, capable de passer la barrière des masques à gaz des soldats, provoque pour sa part toux et vomissements. Enfin, le gaz sarin, découvert en 1939, s'attaque au système neurologique. Il peut être fatal, même à faible dose.

sète déminage obus

En 2013, une tonne d'obus est découverte sur la plage de Sète.

Le "silence" des autorités françaises ? Les autorités militaires se veulent rassurantes : aucune arme chimique ne dort dans les décharges sous-marines du littoral français. 

Une affirmation qui laisse sceptique Nicolas Koutsikas, un des réalisateurs du documentaire "Armes chimiques sous la mer" (2013), vaste enquête menée sur trois ans à l'échelle mondiale. Selon lui, la France se fait surtout remarquer par son refus de collaborer : "Elle est le seul pays où je me suis trouvé face à un mur. Parmi les États concernés, c’est aussi l’un des seuls qui soit absent de ce documentaire. Personne n’a voulu répondre à mes questions. Pourtant, il existe une décharge au large de Saint-Tropez dans une fosse sous-marine". Après deux guerres mondiales, "personne n’est en mesure d’expliquer ce que la France a fait de son arsenal chimique. Il n’existe aucune trace". 

Si certains pays comme la Pologne ou l'Italie tentent de régler le problème, les associations et les scientifiques dépendent trop souvent des autorités militaires qui freinent leur travail. Plus généralement, le sujet reste délicat à aborder car il mettrait en danger les activités de tourisme et de pêche. Certains experts estiment aussi que sortir de la mer ces armements chimiques en voie de décomposition serait plus dangereux que de les laisser sous mer. 

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