Taxe Tobin : Sarkozy peut-il y aller seul ?

Nicolas Sarkoy et Angela Merkel se sont retrouvés pour un déjeuner de travail à Berlin.
Nicolas Sarkoy et Angela Merkel se sont retrouvés pour un déjeuner de travail à Berlin. © Reuters
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Charles Carrasco , modifié à
Des financiers et voisins opposés, un calendrier serré, la marge de manœuvre de Sarkozy est faible.

Nicolas Sarkozy ou la rupture en fin de mandat. Après l’épineux dossier de la TVA sociale, le chef de l’Etat a ouvert un nouveau front qui fait polémique : la taxe Tobin sur les transactions financières.  A environ trois mois et demi du premier tour de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy a choisi d’accélérer le calendrier des réformes quitte à passer en force et d’en froisser quelques uns. Mais la tâche s’annonce très délicate.

La taxe Tobin, c’est quoi ? Elle a été imaginée par le prix Nobel d’économie, James Tobin, professeur d’économie à l’université de Princeton et ancien conseiller du président Clinton. Son principe est simple : taxer, même à un très faible taux, les transactions monétaires d’un pays à un autre. Sont concernés : actions, obligations et marchés dérivés. En ce temps de crise, l’objectif est de permettre le renflouement des caisses de l’Etat. Cette taxe entre 0,1% et 0,001% pourrait rapporter des milliards à l’échelle mondiale.

Pourquoi ressort-elle aujourd’hui ? L’idée de la taxe Tobin, Nicolas Sarkozy ne l’a pas sortie tout seul de son chapeau. Elle était déjà dans les tuyaux au G20. Le président français et la chancelière avaient déjà esquissé cet été les contours d’un consensus européen autour de cette taxe sur les transactions financières. Quitte à n’être que 17 pays de la zone euro à l’appliquer au début. Mais Nicolas Sarkozy veut la mettre en place avant la vacance au, Parlement au mois de mars.  Benoist Apparu, le ministre du Logement, a confirmé qu’une loi serait à l’ordre du jour au mois de février prochain. L’affectation et les modalités de ce nouveau prélèvement seraient « précisées fin janvier », selon Nicolas Sarkozy, après le sommet social prévu le 18 janvier.

Pourquoi ce revirement ? Cette idée a mis du temps à faire son chemin au sein de la classe politique, notamment à droite. En 1999, alors qu’il était président par intérim du RPR, Nicolas Sarkozy s’était farouchement opposé à cette taxe qui parlait "d’une absurdité" et qui pourrait générer "des dizaines de milliers de chômeurs". 

Nicolas Sarkozy lors de ce débat télévisé en 1999 avec Robert Hue :

Aujourd’hui dans ce contexte de crise, le président de la République y est favorable. Il veut donner l’impression qu’il a choisi son camp : celui des Français qui considèrent que les financiers sont les grands responsables de cette crise.

A quoi ressemblerait-elle ? Selon le journal Le Monde,  cette taxe trop difficile, à mettre en place rapidement pourrait se transformer en une simple réintroduction de l’impôt de Bourse. En clair, calquer une directive européenne proposée en septembre 2011 mais qui ne doit être mise en vigueur qu’en 2014. Cet "impôt de Bourse", comme il existe déjà en Angleterre sous forme d’un droit de timbre de 0,5%, pourrait rapporter selon Bercy entre 2 et 3 milliards d’euros à l’Etat. La taxation des obligations et des produits dérivés n’interviendrait qu’ensuite.

Qu’en pensent les marchés financiers ? Cette annonce a déclenché une levée de boucliers des financiers. L’association Paris Europlace s’oppose "à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières qui, si elle n’était pas européenne, affaiblirait l’économie française". Philippe Dessertine, directeur de l’Institut de haute finance, abonde dans ce sens : "la Suède a expérimenté cette situation à la fin des années 80. Elle avait choisi de la faire seule et elle a dû revenir sur ses positions. Les capitaux s’enfuient alors que nous sommes dans une situation où nous avons un besoin de liquidités énormes en France. (…) L’idée du calcul politique pourrait avoir des conséquences économiques extrêmement graves", s’inquiète-t-il. Le secrétaire d'État au logement, Benoist Apparu, a répliqué : "ce n'est pas parce que les financiers disent non qu'on va les écouter". Le bras de fer est donc clairement engagé.

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© Reuters

Qu’en pensent les voisins ? Nicolas Sarkozy est pressé par le temps en cette année électorale. Il veut aller vite, ce qui a désorienté des voisins européens, enclins à une réforme globale. L’Allemagne réclame une « concertation » globale, l’Italie plaide pour plus « d’unité »  et l’UE  encourage à travailler en « étroite collaboration avec la présidence danoise (de l’UE), afin d ‘assurer une approche cohérente et des résultats efficaces ».

Nicolas Sarkozy ne l’entend pas de cette oreille et veut jouer un rôle de moteur. "Si nous ne montrons pas l’exemple, ça ne se fera pas", a déclaré le chef de l’Etat à l’issue de son déjeuner avec Angela Merkel, lundi. Comme durant la crise de l’euro, le président français n’accepte pas de laisser dicter le tempo et veut occuper la scène européenne.

Qu’en pense la gauche ? Le PS est mal à l’aise vis-à-vis de l’attitude à adopter. Le porte-parole du PS, Benoît Hamon a affirmé que les socialistes voulaient connaître "le montant et les conditions" de la taxe Tobin préconisée par Nicolas Sarkozy avant d'indiquer s'ils la voteraient ou pas. Arnaud Montebourg, le député PS de Saône-et-Loire a confirmé qu’il voterait ce texte. Manuel Valls, le porte-parole de François Hollande dénonce "le bluff et l’incohérence" précisant que le président a crée le "désordre au niveau européen".