Pourquoi le FN ne peut pas contrôler ses candidats

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DÉCRYPTAGE - Si des consignes sont données pour éviter les dérapages sur les réseaux sociaux, elles ne sont pas toujours suivies.

En moins d’un mois, deux candidats investis par le FN pour les prochaines élections municipales ont été exclus du parti d’extrême droite. En cause : des dérapages racistes sur les réseaux sociaux. Ces entorses à la dédiabolisation opérée par Marine Le Pen peuvent-elles se répéter ? Le FN fait tout pour les éviter, mais ses armes sont limitées.

>> Europe1.fr a enquêté auprès de plusieurs candidats frontistes.

Les élections municipales, Marine Le Pen en rêve, même sans se raser. Lors de la rentrée de son parti, l’été dernier à Marseille, la patronne du FN avait martelé son ambition de tisser sa toile en ayant des centaines de conseillers municipaux sur tout le territoire. Pour cela, un préalable : trouver des candidats pour constituer des listes un peu partout. Et vérifier leur pedigree pour éviter tout dérapage. Raté. Europe1.fr a isolé quatre armes à la disposition du FN :

>> La pédagogie

A Marseille, Wallerand de Saint-Just, trésorier et avocat du FN, avait cru bon de faire peur aux candidats en les menaçant d’exclusion. Ce qui n’a pas empêché Anne-Sophie Leclere de comparer Christiane Taubira à une guenon, ni Joris Hanser de déraper à de multiples reprises sur les réseaux sociaux

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Après ces deux dérapages, le Front national "n’a pas ressenti le besoin d’une piqûre de rappel, car, de toute façon, on leur répète de façon quasi-quotidienne qu’ils doivent respecter la ligne politique du FN, sous peine d’être exclu", assure à Europe1.fr David Rachline, délégué national FN à la communication numérique.

>> La formation

Une autre arme pour la direction du FN : former les candidats. "A Marseille, nous avions mis en place un atelier sur quoi faire ou non sur les réseaux sociaux", garantit David Rachline. Pierre Ducarne, tête de liste à Nancy, contacté par Europe1.fr, admet pourtant qu’"elle n’est pas obligatoire. Je n’y ai pas assisté." Audrey Guibert, tête de liste à Savigny (Essonne), elle, l'a suivie : "j’ai suivi une formation à Nanterre, et c’est ensuite à moi d’en faire profiter mes colistiers. Je leur explique notamment comment manier les réseaux sociaux, car certains ne les maîtrisent pas du tout." David Rachline précise : "j’ai des têtes de listes au téléphone presque tous les jours et je leur demande de vérifier les comptes de leurs colistiers, de contrôler les commentaires".

>> La flicage

Communiquer avec ses colistiers et surveiller leur activité numérique, c’est donc l’autre possibilité à la disposition des candidats, appuyée par Marine Le Pen elle-même. Bastien Foncel, tête de liste à Saint-Césaire (Charente-Maritime), 18 ans seulement, reconnaît ainsi avoir fait le service minimum en en ayant simplement "discuté avec [ses] colistiers, je les ai mis en garde, mais j’ai une totale confiance en eux". Pierre Ducarne, lui, a encore davantage confiance. Trop ? "Non, je n’ai pas regardé leurs profils. D’ailleurs, je ne sais même pas qui est inscrit ou non…"

>> Interdire les réseaux sociaux

Si la pédagogie ne marche pas, que la formation n’est pas obligatoire et que les candidats ne suivent pas à la règle les consignes de prévention parisiennes, quelles solutions reste-t-il au Front national ? Interdire à ses candidats l’utilisation des réseaux sociaux pendant la durée de la campagne ? "Ce serait une très mauvaise idée, car les réseaux sociaux sont un très bon moyen de diffuser nos idées", tranche David Rachline. Pour Pierre Ducarne, "ce serait une absurdité, d’autant plus que l’on défend la liberté numérique dans notre programme. Ils sont indispensables dans une campagne. On a moins de moyens que d’autres partis donc on s’en sert pour toucher un large public."

>> L'avis de l'expert

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S’il est d’accord sur l’impossibilité de "fermer le robinet numérique" - "ce serait suicidaire !" - Arnaud Mercier (photo), politologue spécialiste des réseaux sociaux, ne voit pas comment le FN peut s’y prendre pour convaincre ses troupes : "c’est très difficile car, par définition, les réseaux sociaux sont le lieu de l’expressivité de soi, une tribune pour dire ce que l’on pense et s’offrir une visibilité. Dire à des candidats, donc à des gens qui ont envie de faire passer un message :’attention à ce que vous dites sur Twitter !‘, c’est presque contradictoire avec l’idée même du réseau social", juge-t-il auprès d'Europe1.fr

Outre la spécificité des réseaux sociaux rappelés par Arnaud Mercier, un autre élément joue en la défaveur du parti de Marine Le Pen : sa (relative) jeunesse. "Le FN n’a pas une longue tradition de parti de masse. Dès lors, il ne peut se permettre le luxe d’un tri drastique de ses candidats. Mieux vaut un candidat inexpérimenté, qui fasse un très petit score, que pas de candidat du tout…", décrypte le politologue, qui conclut : "toutes les conditions sont réunies pour qu’il y ait de nouveaux dérapages lors de cette campagne."