Plan d’économies : Valls et les députés, un jeu de rôles

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DÉCRYPTAGE - Le Premier ministre aurait pu éviter de faire voter sa majorité. Mais alors pourquoi a-t-il pris ce risque ?

Mardi sera un jour important pour Manuel Valls. Son plan d'économies sera en effet soumis au vote du parlement. "C’est un rendez-vous avec l’histoire, un moment d’honneur pour la France", décrypte un de ses conseillers pour Europe 1. Or, pour l’heure, le Premier ministre n’est pas certain de pouvoir compter sur un vote majoritaire, plusieurs élus PS ayant déjà annoncé leur intention de ne pas le voter.

>> Dès lors, une question se pose : pourquoi l’exécutif a-t-il pris le risque de solliciter l’avis du Parlement, alors qu’il n’en avait pas l’obligation ?

Parce que, en fait, il ne risque pas grand chose

Nicolas Sarkozy, lui, n’a jamais pris ce "risque" et concoctait ses prévisions pour Bruxelles dans le secret du conseil des ministres. L’actuelle majorité en a décidé autrement et a décidé d’utiliser l'article 50-1 de la constitution qui lui permet, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire, de faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s'il le décide, faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité.

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Un choix critiqué par Bernard Accoyer (photo), ancien président UMP de l’Assemblée nationale : "Manuel Valls doit engager la responsabilité du gouvernement sur le vote du programme de stabilité, en application de l'article 49-1 de la Constitution", a-t-il écrit dans une lettre au Premier ministre. "Comment un enjeu aussi majeur pour notre pays ne pourrait-il faire l'objet que d'un simple vote consultatif ?", s’est encore interrogé le député de Haute-Savoie. Contacté par Europe1.fr, Carlos Da Silva, porte-parole du Parti socialiste - et très proche de Manuel Valls - est catégorique : "il n’est pas question d’engager la responsabilité du gouvernement, puisque cela a déjà été fait lors du discours de politique générale."

Le scrutin organisé mardi n’aura donc qu’une valeur consultative et le gouvernement pourra décider de passer outre un éventuel rejet des élus. Mais symboliquement, cela ressemblerait à un camouflet. Et l’avenir s’assombrirait. Dès le mois de juin commenceront les discussions autour de la loi de finances rectificatives, et le gouvernement devra, cette fois, la faire adopter par les parlementaires. Et si ça ne passe pas, François Hollande n'aurait alors plus d'autre choix : dissoudre l’Assemblée nationale ou utiliser l’article 49-3 et ainsi passer en force.

Pour verrouiller sa majorité

Depuis l’annonce de son plan de 50 milliards d’euros d’économies d’ici 2017, Manuel Valls se heurte à une partie de sa majorité, qui l’accuse de mener une politique d’austérité qui ne dit pas son nom. En les invitant à se prononcer solennellement, il les met devant le fait accompli. Sur BFMTV Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, l’a dit plus explicitement : ceux qui ne voteront pas "affaibliront la position de la France, la position de l’exécutif, le gouvernement et le président de la République. La gauche peut-elle se le permettre ?"

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Carlos Da Silva (photo) dit "comprendre les hésitations des députés, car ils n’ont pas encore tout à fait digéré le traumatisme des municipales", mais la fermeté n’est jamais très loin.  "Il faut que les parlementaires de la majorité, élus par les Français, prennent en compte l’état réel du pays et qu’ils se demandent s’ils veulent conserver notre modèle social. Sans vote, cela n’engagerait pas assez, là, chacun doit prendre ses responsabilités." Le message est martelé par les poids lourds de la majorité. Bruno Le Roux, patron des députés PS, a ainsi déjà fait savoir que Manuel Valls avait "lâché" sur les petites retraites. Ce qui lui permet de dire aux frondeurs socialistes : "vous avez vu ? Le Premier ministre est ouvert à la discussion, soutenez-le !" Sauf qu’avant même leur entrevue, le Premier ministre avait déjà prévu de sortir cet atout de sa manche…

Autre homme important de la stratégie gouvernementale : Jean-Christophe Cambadélis. Le patron du PS va organiser lundi un bureau national "extraordinaire" pour fixer la ligne officielle du Parti socialiste sur le programme budgétaire de Manuel Valls. Mardi matin, "Camba" se présentera devant le groupe PS à l'Assemblée - le Premier ministres sera également présent- , "et nous demanderons à ce que l'ensemble des parlementaires, que nous avons écoutés, que nous avons entendus (...) respecte la décision du BN." Et de lancer : "j'ai confiance, je pense que, très très largement, ceci sera entendu". Pression sur les "nonistes" potentiels…

Pour mettre la pression sur l’opposition

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Et si Manuel Valls avait besoin des voix de l’UMP pour obtenir la majorité ? "Il ne cherche pas les voix de la droite. S’il passe autant de temps avec les parlementaires de la majorité, c’est pour les convaincre, eux. Notre dialogue n’est pas avec la droite", assure Carlos Da Silva. Pourtant, certaines voix dans l’opposition se sont déjà fait entendre. Benoist Apparu, Frédéric Lefebvre, Jérôme Chartier ou encore Valérie Pécresse ont ainsi assuré qu’ils envisageaient de voter le plan, mais sous certaines conditions.

Là est le piège pour l’UMP : "sur le fond, les mesures proposées par Valls en matière d’économie et de réduction des dépenses sont globalement les mêmes que celles prônées par l’UMP. La position de l’opposition est donc difficile à soutenir, voire intenable.  Finalement, ceux qui disent envisager de voter pour font preuve d’intelligence politique", décrypte Thomas Guénolé, politologue spécialiste de la droite française, interrogé par Europe1.fr. Carlos Da Silva ne dit pas autre chose : "la droite dit depuis 2007 qu’il faut faire des économies. Or non seulement elle n’en a pas fait, mais elle a même aggravé la situation des comptes publics ! Si l’UMP et l’UDI veulent être en accord avec leur discours, alors qu’ils prennent leurs responsabilités !" Et votent pour, donc.

Mettre la pagaille dans l’opposition et savoir sur qui il peut vraiment compter au sein de sa majorité, les bénéfices sont doubles pour Manuel Valls. Qui, en agissant de la sorte, montre également que la page Ayrault est définitivement tournée : avec lui, ça file droit, et vite.

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