Le programme du FN est-il réaliste ?

Le FN chiffre son programme pour la présidentielle
Le FN chiffre son programme pour la présidentielle © MAXPPP
  • Copié
Hélène Favier , modifié à
DECRYPTAGE - Deux économistes ont passé au crible le programme du FN pour 2012. 

Marine Le Pen sort sa calculette. Jeudi, la candidate du Front national a dévoilé le chiffrage de son programme et énuméré à la fois beaucoup de dépenses et de mesures de désendettement. Au menu : du protectionnisme, une réduction de l'immigration et le retour au franc.

Mais ces mesures tiennent-elles la route économiquement parlant ? Pour répondre à cette question, Europe1.fr a décidé de soumettre quatre propositions de ce projet au regard critique de deux économistes : Eric Heyer, directeur adjoint du département prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et Bruno Jérôme, chercheur à l'université Paris-II. Voici leur décodage.

LES DEPENSES

> La proposition du FN : 200 euros de plus pour les bas salaires

Marine Le Pen  promet une hausse de 200 euros net/mensuel "sur tous les salaires" allant jusqu'à 1,4 fois le Smic, grâce à la prise en charge par l'Etat du même montant de cotisations salariales. Cette mesure est chiffrée à 64 milliards d’euros sur 5 ans. Le FN compte compenser cette mesure en taxant les importations de 3%.

Bruno Jérôme : "Le problème d’une telle mesure, c’est évidemment son réalisme. Deux choses prêtent ici à caution. La première est qu’il existe une sorte de règle d’or en économie, voulant qu’on augmente les salaires quand la croissance est au rendez-vous et que les entreprises dégagent des gains de productivité. Aujourd’hui, nous ne sommes clairement pas dans ces cas de figure. Le second point ? Une telle augmentation sera forcément répercutée sur les prix, notamment par le biais de l’inflation ou des impôts. Quant au coût global d’une telle mesure, il est, à mon sens, impossible à chiffrer tant les incidences sont difficiles à calculer. Côté recette : taxer les importations, c’est ce que l’on peut faire de pire dans un contexte de mondialisation. Les consommateurs vont tout payer plus cher."

Eric Heyer : "Dans l’absolu, tout est faisable, y compris augmenter les salaires de 200 euros. Et, une augmentation de 3% des importations permettrait effectivement de financer une telle mesure. Mais cela aurait des incidences : certains ménages seront perdants. C’est le cas des chômeurs ou des autres salariés qui devront payer plus cher ce qu’ils achètent. L’inflation sera en revanche compensée pour ceux qui touchent les 200 euros. Et puis que dire, enfin, d’un monde où l’on peut taxer les importations, sans que vos partenaires décident de faire la même chose…"

> La proposition du FN : 8 milliards de plus pour la justice

Marine Le Pen prévoit de revaloriser le budget de la sécurité de 8,5 milliards sur 5 ans. Lors du chiffrage de son projet, elle n’a pas donné plus de détails mais dans son programme elle prévoit notamment "un vaste plan carcéral pour créer, dans les plus brefs délais, 40.000 nouvelles places de prison"..

Bruno Jérôme : "Le chiffrage global tient a peu près la route. C’est tout à fait plausible et le diagnostic est bon : la justice française est le parent pauvre des pays européens. Pour les places de prison, on estime le coût d’un prisonnier à 100 euros par jour. Soit 36.000 euros par an. 40.000 nouvelles places de prisons coûteraient donc 1,4 milliard d’euros. Reste que ne sont pas comptés ici les frais de construction de nouvelles structures qui sont, eux, exorbitants."

LES RECETTES

> La proposition du FN : 41 milliards supplémentaires grâce à une restriction de l’immigration

Côté recette, Marine Le Pen pense dégager des fonds en limitant l'immigration : elle entend diviser l’immigration légale par vingt et économiser ainsi 41 milliards d'euros.

Bruno Jérôme : "Marine Le Pen fait référence ici aux économies de prestations sociales, mais, elle oublie tous les immigrés qui apportent de la richesse en travaillant. Si cette mesure était appliquée, certains secteurs seraient particulièrement impactés comme le bâtiment. Privés de bras, les prix du secteur exploseraient".

Eric Heyer : "On a là une vision très pessimiste de l’immigration, en terme de finances publiques. Marine Le Pen compte les prestations en oubliant la consommation, les cotisations, etc. Il faut bien savoir que la France a besoin d’un flux migratoire important pour soutenir son système de sécurité sociale et de retraites".

> La proposition du FN : sortir de l'euro

Le retour au franc est un grand classique au FN. Marine Le Pen estime qu’une telle décision couplée à des mesures protectionnistes permettrait d'économiser plus de 200 milliards d'euros sur cinq ans.

Bruno Jérôme : "Difficile de chiffrer toutes les incidences de cette mesure. Si on doit revenir au franc, on aura au minimum une hausse de 30% de l’inflation. Il faudra alors dévaluer. Et je ne parle pas des spéculations et des attaques contre cette nouvelle monnaie... "

Eric Heyer  : "En réalité, cette décision conditionne toutes les autres. C’est tellement gigantesque qu’une telle mesure mangerait tout le reste. Les chiffres annoncés pour les autres réformes n’auraient d’ailleurs plus le même sens, puisque la monnaie n’aurait plus la même valeur. Cette mesure serait un drame pour la France pour au moins cinq ans. Il faudrait attendre dix ans ou quinze ans pour espérer y gagner."