Ecomouv', un contrat de droite… et de gauche

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RÉCIT - La majorité s’insurge contre le contrat signé par le précédent gouvernement. Elle savait pourtant tout depuis le début.

Il faut "revoir toute la logique du contrat", a asséné Pierre Moscovici, mardi matin sur BFMTV. Le ministre de l’Economie s’insurgeait contre le partenariat signé entre l’Etat et la société Ecomouv’ censée récolter les fruits de l’écotaxe, suspendue depuis. Et lui comme d’autres au sein de la majorité d’attribuer la responsabilité de ce contrat au précédent gouvernement. Mais c’est plus compliqué que cela… Europe1.fr rembobine le film.

>> ACTE 1 : l'Europe à la manoeuvre

Et si la droite et la gauche française n’étaient pas à l’origine de cette écotaxe qui a fait descendre les Bretons dans la rue ? C’est en effet l’Union européenne qui a "soufflé l’idée" aux pays membres d’harmoniser leur politique fiscale en matière de tarification de l'usage des infrastructures routières. Cette directive européenne, dite "Eurovignette", mise en place en 1999 et révisée en 2006, s’imposant à la France, le gouvernement a alors dû s’atteler à la rédaction d’un projet de loi sur ce sujet et en définir les modalités d’application.

>> ACTE 2 : Le Grenelle de Sarkozy

Jeudi 25 octobre 2007 : Nicolas Sarkozy présente officiellement les conclusions du Grenelle de l’environnement, lancé à son initiative. Jeudi 23 juillet 2009, après de longs débats législatifs, le parlement adopte le projet de loi Grenelle 1, qui fixe les grandes orientations environnementales de la France en matière de transports, d'énergie et d'habitat. Le texte est approuvé par la majorité UMP et centriste mais aussi par le PS, qui se félicite de ses "réelles avancées". A ce moment là, tout le monde (ou presque, les écolos ayant refusé de participer au vote) est donc d’accord avec le principe de l’écotaxe.

>> ACTE 3 : Un appel d'offres lancé

L’écotaxe nécessitant de lourds investissements, le gouvernement choisi d’en confier la responsabilité à une société extérieure. Un appel d’offres est donc lancé en 2009 par Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie, comme le prouve le document ci-dessous.

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Le janvier 2011, cet autre document signé de la main de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d’Etat à l’Ecologie, en atteste : le marché est attribué à un consortium privé, Ecomouv, filiale du groupe italien Autostrade (majoritaire avec 70 % des parts), associé à plusieurs grandes entreprises françaises : SFR, SNCF, Steria et Thales.

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>> ACTE 4 : Le décret d'application publié

A mesure que le pays s’enfonce dans la crise économique, l’engouement né du Grenelle de l’environnement retombe comme un soufflet. La priorité est ailleurs. Au cours de l’année 2011, le gouvernement annonce ainsi que l’écotaxe ne sera appliquée qu’à partir de 2013, car les modalités techniques sont complexes, et les transporteurs routiers grondent.

Quant au décret d’application, nécessaire pour que le texte entre en vigueur, il n’est signé que le 4 mai 2012 par Valérie Pécresse, ministre du Budget, Thierry Mariani, ministre des Transports et François Fillon, Premier ministre. Et publié le 6 mai au Journal officiel, soit le jour du second tour de l’élection présidentielle.

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>> ACTE 5 : la polémique éclate

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La fronde des "bonnets rouges" bretons a eu raison de l’écotaxe. Du moins pour le moment puisque le gouvernement précise dès qu’il le peut qu’elle n’est que "suspendue" et non "supprimée". Mais la colère gronde toujours. Des élus socialistes s’indignent des termes du contrat passé par le précédent gouvernement : Ecomouv’ doit percevoir quelque 1,15 milliard d’euros par an, en restituer 750 millions à l’Etat et 150 millions aux collectivités locales. Les 250 millions restants ? Dans la poche de la société. "Comment Ecomouv a-t-elle pu obtenir 20% lorsque l'on sait que les traditionnels PPP (Partenariat Public Privé, Ndlr)  ne décrochent en moyenne que 2 ou 3% des recettes ?", s’interroge ainsi David Assouline, porte-parole du Parti socialiste, lundi.

François Rebsamen, chef de file des sénateurs socialistes, réclame une enquête parlementaire. Bruno Le Roux, sur Europe 1, exige que l’enquête administrative, en sommeil, soit relancée car "il semblerait qu'il y ait eu un certain nombre de liens entre la société qui a conseillé, qui a préparé le marché et celle qui l'a obtenu".

>> ACTE 6 : la droite contre-attaque

"C’est un contrat qui a été passé dans les règles, en toute transparence, à la suite d'un dialogue compétitif, c'est-à-dire d'une négociation, qui a duré plus d'un an", assume aujourd’hui Nathalie Kosciusko-Morizet. La droite se défend, bien que certains ténors, dont Jean-François Copé, se désolidarisent. Thierry Mariani, qui lui aussi "assume à 100%", dénonce ainsi "des faux culs. Tout le monde semble découvrir aujourd’hui cette taxe qui, je le répète, a été votée dans l’allégresse et que le gouvernement - au pouvoir quand même depuis un an et demi -, était enchanté d’appliquer."  

Valérie Debord, responsable du pôle projet à l’UMP, dégaine elle aussi son communiqué. "Jean-Marc Ayrault  et ses amis sont des tartuffes. C’est officiel, c’est dans le Journal Officiel", s’amuse-t-elle en préambule, avant de détailler des preuves, selon elle, que l’actuel gouvernement n’a pas découvert la teneur du PPP en novembre 2013. "C’est par un décret en date du 26 juin 2013 que Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve  ont modifié le décret de 2011 qui organisait la délégation de collecte et de contrôle de l’écotaxe à un prestataire extérieur. Comment pouvaient-ils donc ignorer la société Ecomouv’, eux qui ont signé le décret modificatif qui encadrait sa désignation ?", s’interroge-t-elle. Ce décret, Europe1.fr l’a effectivement retrouvé au Journal officiel :

   PDF Decret Ps by Europe1fr

L’ancienne députée de Meurthe-et-Moselle liste ensuite 13 autres décret pris par l’actuelle majorité. Et de conclure : "Jean-Marc Ayrault et ses ministres doivent rendre des comptes. Ont-ils la signature "hasardeuse" ou oublieuse ? Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude !" De l’art de se renvoyer la patate chaude. Pierre Moscovici, lui, a promis qu'il allait renégocier le contrat.