Bientôt un délit de parjure ?

Deux députés UMP proposent de pénaliser le parjure. Histoire d'éviter d'autres mensonges comme celui de Jérôme CahuzAC.
Deux députés UMP proposent de pénaliser le parjure. Histoire d'éviter d'autres mensonges comme celui de Jérôme CahuzAC. © MaxPPP
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Deux députés UMP proposent de sanctionner les mensonges, avec inéligibilité à la clé. Réaliste ?

Les propositions. Le mensonge de Jérôme Cahuzac devant l’Assemblée a été vécu comme un traumatisme par certains députés. Deux élus UMP, soucieux que cette première dans les annales de la Ve République ne se répète pas, ont déposé mercredi et jeudi des propositions de loi sanctionnant un délit de parjure ou de mensonge.

Thierry Lazaro, député du Nord, plaide pour un "délit de parjure dans le droit français" et pour une loi visant à "rendre inéligible toute personne qui s'est rendue coupable de parjure ou qui a menti publiquement dans une affaire pénale ou fiscale le concernant." Son collègue du Pas-de-Calais Daniel Fasquelle réclame lui que soit sanctionné par une inéligibilité à vie un mensonge proféré devant l'Assemblée nationale ou le Sénat en séance publique.

Pour mémoire, le mensonge de Jérôme Cahuzac devant l’Assemblée nationale :

Le parjure absent du droit français. La notion de parjure n’apparaît pas dans le Code pénal. Jérôme Cahuzac ne peut donc pas être poursuivi pour avoir menti à la représentation nationale. En revanche, le mensonge est bel et bien sanctionné dans certaines circonstances, qui n’entrent pas dans le cadre de l’affaire Cahuzac. Ainsi, "le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire (…) est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende", édicte l’article 431-13 du Code pénal. Qui précise qu’une rétractation vaut exemption de peine. En revanche, si le faux témoignage a été motivé contre une rémunération ou un avantage, la peine encourue est portée à sept ans de prison et de 100.000 euros d’amende. C’est le sens de l’article 434-14 du même Code pénal.

Pourquoi une telle absence ? D’abord parce que le droit français repose sur du droit positif, avec des normes issues des hommes et non de Dieu ou de la nature, comme le droit naturel. "Pour qu’il y ait un délit de parjure, il faut avoir prêté serment", rappelle Nicolas Bacharan, spécialiste des Etats-Unis, jointe par Europe1.fr. Or, la notion de serment renvoie souvent à "l’idée d’une puissance surnaturelle", explique Paul Alliés, professeur de Droit constitutionnel à l’université de Montpellier 1. "Au tribunal par exemple, la France est l’un des pays où l’on ne jure pas sur quoi que ce soit d’‘extraterrestre’", sourit-il.

L’exemple américain. S’il est un pays où le parjure est durement réprimé, ce sont bien les Etats-Unis. "Les Américains sont beaucoup plus à cheval sur le mensonge et la vérité", confirme Nicole Bacharan. Outre-Atlantique, le fait de mentir sous serment est considéré comme un crime. Et les sanctions peuvent aller jusqu’à cinq ans de prison. Or, "les élus américains prêtent serment en des tas d’occasion", assure la spécialiste, qui s’appuie sur le cas Cahuzac. "Le ministre des Finances qui aurait menti sur ses impôts auraient par exemple déjà menti une première fois sous serment devant la commission des Finances du Congrès. Et ça, juridiquement, c’est très grave."

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Efficace ? Oui et non. Reste à savoir si un délit de parjure transposé dans le droit français pourrait  avoir l’effet escompté. "C’est efficace parce que c’est pris très au sérieux. Le  parjure est grave politiquement, est grave moralement et peut être grave pénalement", estime Nicole Bacharan. "Mail il ne faut pas croire non plus que grâce à cela, personne ne ment. Et il ne faut pas croire que cela suffise à rendre confiance au citoyen. A l’heure actuelle, seulement 20% des Américains disent avoir confiance dans les élus du Congrès. C’est une avancée mais ça ne résout pas tout", estime cette spécialiste.

Le professeur Paul Alliès est encore plus sévère. "C’est une réponse à chaud à l’affaire Cahuzac, qui ne règle aucun problème", juge l’expert es droit constitutionnel. Si le parjure avait existé, "Jérôme Cahuzac serait un peu plus condamné par rapport à ce qui est le plus grave, à savoir la dissimulation et tout ce qui a été pratiqué à l’insu de la République, alors qu’il était ministre régalien", poursuit-il. "Il n’est pas nécessaire de charger la barque pour que l’opprobre sur l’élu fautif devienne spectaculaire. C’est se tromper d’objectif", conclut Paul Alliès.