"On confond l'impartialité et la neutralité du juge"

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SAISON 2013 - 2014, modifié à

Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature, revient sur les accusations de Nicolas Sarkozy et affirme qu'un juge, comme tout un chacun, a une opinion entre la loi et son application.

Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature

Ce matin à 7h15, Europe 1 proposait "La question qui fâche" : Le syndicat de la magistrature confond-il justice et politique ? Avec Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature.

Ses principales déclarations :

"Nicolas Sarkozy nous sert toujours la même histoire : dès qu'il est mis en cause dans une affaire, il s'en prend à l'impartialité de la Justice. Aujourd'hui, c'est le syndicat de la magistrature. Pendant l'affaire Bettencourt, c'était le juge Gentil qu'on ne pouvait pas soupçonner d'appartenir au Syndicat de la magistrature. Les arguments sont les mêmes : se présenter comme une victime d'un acharnement judiciaire, remettre en cause les juges, parler d'un complot, jeter le discrédit sur la Justice."

A propos de la lettre envoyée par le Syndicat de la magistrature. Le syndicat fait de la politique ?

"Les syndicats de manière générale font de la politique, interviennent dans le débat démocratique. Le Syndicat de la magistrature est plutôt classé à gauche car il défend des valeurs qui sont plutôt classées à gauche, il s'inscrit dans le débat pour défendre une certaine conception de la Justice. C'est ce que nous avons fait en 2012... Nous nous attaquons à un programme, pas à un homme ! Nous nous en prenons aux idées, en disant que ce programme pour la Justice est inconciliable avec l'idée d'une Justice indépendante. D'autres magistrats portent une autre parole, il y a aussi des syndicats classés à droite."

"Ce qui est important pour la Justice, c'est qu'elle puisse être pluraliste !"

Et impartiale...

"Oui, mais on entretient sciemment la confusion entre l'impartialité et la neutralité du juge. On voudrait un juge sans opinion, sans apparence d'opinion : il n'existe pas ! C'est un humain avec une opinion : entre la loi qu'il doit appliquer et le cas particulier, il y a évidemment la place pour ses opinions. Ce qui garantit finalement Nicolas Sarkozy comme les autres justiciables qu'il n'est pas victime d'une justice arbitraire, c'est le respect des règles de procédure ! Ont-elles été respectées ? Ce n'est pas moi qui le dirait, le travail des magistrats instructeurs est très encadré par la procédure, Nicolas Sarkozy bénéficie comme tout un chacun de tous les recours, je ne doute pas qu'il va les mettre en œuvre et ce sera normal. C'est ce qui s'était passé pendant l'affaire Bettencourt."

La juge Claire Thépaut veut-elle faire tomber Nicolas Sarkozy ?

"Vous croyez que les juges veulent faire tomber des gens ? Ils instruisent les dossiers qu'on leur donne à juger, à charge et à décharge : s'ils ne font pas bien leur travail, il y a tout un tas de dispositifs pour les rappeler à l'autre. La question de la partialité éventuelle de Claire Thépaut, c'est de savoir si elle a une animosité particulière contre le chef de l'Etat : j'attends encore des arguments !"

On est avec le syndicat qui a fait le mur des cons...

"Oui, bien sûr, on nous ressert le mur des cons à chaque fois : il a existé, il était interne et n'a été diffusé que parce qu'un journaliste a volé ces photos dans notre local... Que le syndicat de la magistrature soit à gauche, ce n'était pas un scoop. Les juges instruisent des dossiers, ne développent pas d'animosité particulière, ils respectent des règles de procédure. A part le fait que Claire Thépaut soit supposée appartenir au Syndicat de la magistrature, que reproche-t-il de précis contre elle ? "

Ce serait plus simple de la dessaisir ?

"À ce moment-là, on va dessaisir tous les juges du Syndicat de la magistrature... Il y a un principe fondamental : la liberté syndicale. Les magistrats sont libres d'adhérer au syndicat de leur choix, gauche, droite, centre, peu importe. Ce qui est important pour l'institution judiciaire, c'est qu'il puisse y avoir un regard critique sur son fonctionnement. Ca gène, ça ne fait pas plaisir mais c'est le fonctionnement normal de la Justice et ce que les citoyens attendent la Justice c'est que son fonctionnement soit correct."

Quand Nicolas Sarkozy dit qu'il n'était pas nécessaire de le placer en garde à vue, il explique qu'il y a eu une volonté de l'humilier : vous le comprenez ?

"Je comprends que la garde à vue puisse être quelque chose de violent, nous le dénonçons régulièrement, nous avons milité pour que les droits des gardés à vue soient améliorés, qu'il y ait moins de gardes à vue... Je suis ravie de voir... Quand ça s'applique aux autres, on a un tout autre regard sur cette procédure dont font l'objet des milliers de personnes tous les jours sans que ça ne pose de souci à quelqu'un... Nicolas Sarkozy est finalement traité comme un citoyen ordinaire, c'est ça qu'il reproche à la Justice : dans ce dossier, trois autres personnes étaient déjà en garde à vue, pourquoi aurait-il eu un sort particulier ? On peut remettre en question la garde à vue mais à partir du moment où elle est légale, où elle s'applique, où on a une affaire grave et complexe... Moi je n'ai pas à justifier cela ! Je dis que c'est une affaire qui a été traitée de façon ordinaire et que c'est peut-être ça qui fâche..."

 

Nicolas Sarkozy dénonce une instrumentalisation politique d'une partie de la Justice. Vous avez le sentiment d'en faire partie au Syndicat de la magistrature ?

"Je vous redis ce que je vous ai dit : nous sommes un syndicat qui existe sous la droite, sous la gauche, indépendant, qui ne dépend d'aucun parti. Qui politise la Justice finalement ? Les juges d'instruction qui essaient de faire leur travail sereinement ou les personnes qui s'en prennent à la Justice pour tenter de jeter le discrédit sur elle ?"