Latifa Ibn Ziaten : "Merah nous a laissé une souffrance à vie"

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"La souffrance est dans mon cœur mais je dois aller de l’avant pour aider ces jeunes livrés à eux-mêmes. Voir mon fils grandir à travers cette association. A chaque geste que je fais, à chaque jeune que je sauve, ça fait grandir mon fils dans l'association", nous raconte Latifa Ibn Ziaten.

Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad Ibn Ziaten, 1ère victime de Mohammed Merah.

Ses principales déclarations :

 

Il y a deux ans, votre fils, croyant vendre sa moto, a été tué par Mohammed Merah. Comment une mère trouve la force de se relever après une épreuve pareille ?

"La force, je l'ai trouvée dans mon fils qui a refusé de se mettre à genoux, qui est resté debout face à cet assassin qui lui demandait de s'allonger. Mon fils a refusé : "Je suis militaire, je ne m'allongerai pas, si tu veux tirer, tire !" Mon fils est mort debout, digne. Je n'ai pas le droit de m'asseoir : c'est pourquoi je mène ce combat, j'ai fondé cette association Imad Ibn Ziaten pour les jeunes qui sont perdus, livrés à eux-mêmes."

Vous n'auriez pas voulu passer totalement à autre chose ? Ça n'aurait pas été plus "facile" pour vous ?

"Non. Quand j'ai vu ces jeunes, sur les lieux, ces jeunes ignorants, qui ne savent pas du tout, qui ont vu dans Merah un héros, un martyr de l'islam, j'ai dit non : ce n'est pas un héros, pas un martyr, c'est un assassin. C'est là qu'il faut travailler, aller voir ces jeunes : ils ignorent tout de leur culture, de leur tradition, de leur respect, de leur religion... Ils sont perdus, c'est là qu'il faut travailler."

 

Ils vous ont écouté ?

 

"Oui. Quand je me suis présentée, ils ont été surpris. Ils ont changé : j'ai vu leur tristesse, leurs regrets de ce qu'ils venaient de dire. Je me suis dit alors qu'il fallait aider ces jeunes, c'est important."

Comment expliquer la fascination de certains jeunes pour Merah ?

"C'est ça le problème : l'ignorance. Des gens perdus, qui manquent d'éducation. La plupart des jeunes sont livrés à eux-mêmes, ils sont perdus, en échec scolaire, ils sont dans les quartiers, tournent en rond et ça fait peur."

Les parents sont responsables ?

"Certains parents oui, ceux qui ne donnent pas d'éducation. L'éducation, c'est les parents, c'est la base : si on n'est pas responsables de nos enfants, personne ne peut nous remplacer. L'école, ça se prépare à la maison."

 

Vous parlez aussi aux parents ?

"Oui. Certains parents sont dépassés par leurs enfants ; certains parents ne comprennent pas, n'ont pas assez d'éducation pour transmettre à leurs enfants. Il y a des mères seules qui n'ont pas la possibilité, la responsabilité d'élever leurs enfants ; certains pères sont absents dans l'éducation, dans les responsabilités, avec une mère toujours là qui doit endosser toutes les responsabilités, c'est beaucoup."

Beaucoup d'associations essaient de lutter dans ce sens : qu'est-ce qui marche avec vous ? Ils voient vos larmes ?

"Quand on passe par un drame comme le mien avec une telle souffrance, quand je montre cette souffrance les jeunes comprennent, ils regardent mon message de paix et de respect, de vivre ensemble, le respect de l'autre... Surtout le respect du pays où on vit, des règles de la République, c'est très important."

Votre combat, c'est aussi d'essayer d'empêcher des jeunes d'aller faire le Jihad en Syrie... Quels arguments employer pour les retenir ?

"Je leur dis qu'ils n'ont rien à faire en Syrie, que ça ne nous concerne pas. Bien sûr une guerre fait mal à tout le monde, mais qu'iront faire en Syrie ces jeunes de 15 et 19 ans ? Ils risquent leurs vies, ils laissent leurs parents en souffrance. Ça fait peur."

Vous comprenez ce qui se passe dans leur tête ?

"Dans mes conférences, des jeunes me disent : "On ne travaille pas, on ne fait rien, on va peut-être se rendre utile..." Mais ce n'est pas se rendre utile que d'aller en Syrie, de risquer sa vie et laisser sa famille en souffrance. Si vous voulez vous rendre utile, cherchez un travail, une formation, faites quelque chose ! Mais ils me disent que les portes se ferment, qu'ils sont catégorisés, aucune chance, dès lors qu'ils viennent d'un quartier défavorisé..."

Avez-vous trouvé la force de pardonner à Merah ?

"J'ai pardonné la manière dont il a vécu. Quand on voit son parcours : c'est un jeune qui n'avait pas d'amour, qui a beaucoup souffert, qui n'avait pas d'éducation de ses parents, qui n'était pas cadré. Mais je ne pardonne pas ce qu'il a fait : c'est impardonnable. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas d'éducation ou de famille qu'on devient assassin. Il nous a laissé une souffrance à vie : pour nous, pour sa famille ; il a sali le nom de l'islam."

Vous parvenez à rester optimiste ?

"Oui. La souffrance est là, ça ne fera pas revenir mon fils. Je n'ai pas grandi dans la haine : j'ai toujours grandi dans la paix, le respect de l'autre, le vivre ensemble. La souffrance est dans mon cœur mais je dois aller de l’avant pour aider ces jeunes livrés à eux-mêmes. Voir mon fils grandir à travers cette association. A chaque geste que je fais, à chaque jeune que je sauve, ça fait grandir mon fils dans l'association."