"L'Europe a des dogmes mais pas de politique"

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SAISON 2012 - 2013, modifié à

Le réalisateur de The Artist défend l’exception française et déplore l'attitude des élites européennes "non-élues et suffisantes".

Michel Hazanavicius, réalisateur et producteur.

Ses principales déclarations :

A propos des déclarations de José Manuel Barroso. Vous êtes "complètement réactionnaire", donc...

"Il parait oui ! Si vous écoutez ce monsieur, oui... Ca m'inspire... Je trouve ça un peu navrant : ce n'est pas vraiment à son honneur. Si le fait de vouloir réguler ce qui est notre position est réactionnaire, et bien, soit, soyons réactionnaires. Et je trouve que c'est quand même très révélateur d'une certaine attitude de ces personnes qui, rappelons-le, ne sont pas élues, et gouvernent l'Europe d'une certaine manière, la preuve est faite, avec beaucoup d'arrogance, de suffisance. Ils n'acceptent pas le jeu politique, les règles qu'ils ont eux-mêmes mis en place. C'est navrant."

Explication hier avec François Hollande : ça suffit pour éteindre l'incendie ou c'est plus profond ?

"Je pense que c'est profond. Pour avoir rencontré plusieurs fois les Commissaires européens, je pense qu'il y a un vrai problème de gouvernance de l'Europe : cette suffisance, cette non écoute des secteurs d'activités, cette manière de travailler seul sans écouter personne, fait qu'au final il n'y a pas vraiment de politique en Europe, il y a des dogmes. Ca laisse les citoyens dans un choix binaire : oui ou non à l'Europe. Avec de la politique, on pourrait se poser la question autrement, se demander quelle Europe on veut : avec cette suffisance, la question ne se pose pas ainsi, on nous propose une alternative, pas deux. Quand la question est oui ou non à l'Europe, partout en Europe, les partis majoritaires sont anti-européens, c'est très grave."

A quoi sert l'exception culturelle ?

"Chaque pays peut définir sa propre politique culturelle. C'est aussi du commerce. Par exemple, en France, le système de financement est basé sur le principe que les diffuseurs participent au financement des films. Quand on jette la culture dans le marché ultra libéral prôné par Barroso et De Gucht, on explose ces principes-là. La réalité, c'est que les chaines de télé sont les gros financiers du cinéma français, des règles édictées quand les chaines de télé étaient pratiquement les seuls canaux de diffusion des films : nous disons qu'il faut intégrer le numérique dans notre cercle vertueux de financement de films. Pour cela, il faut pouvoir y travailler, faire entrer le numérique dans le champ de la culture. S'il est exclu du champ de la culture, ils pourront faire absolument ce qu'ils veulent, Barroso et De Gucht définiront les lois et les principes qui régiront le mode de fonctionnement des acteurs du numérique."

Pourquoi ferait-on une exception pour la culture ?

"Les américains font pareil : ils excluent du mandat l'automobile. On définit un mandat de négociation ! On ne veut pas être un jeton sur une table de poker. De Gucht a fini par nous dire : « Les négociations sont comme une partie de poker, je suis un très bon joueur, faites-moi confiance » C'est quand même assez terrifiant..."

Si l'exception culturelle n'existe plus, c'est la mort du cinéma français ?

"La mort... Je ne veux pas agiter ce chiffon comme ça. Mais nous serions très affaiblis. Nous sommes une des rares industries qui va bien, qui créé des objets amicaux, pas des armes, on créé du lien social, on est une définition de l'Europe à mon avis bien plus noble que celle de Barroso. Il ne faut pas nous couper les pattes ! Je ne sais pas si on serait mort. Ce qui est sûr c'est que, dans un marché non régulé, il va être très compliqué pour nous d'être compétitif avec le marché américain. Les américains peuvent faire des films à 100 millions de dollars, ils vont le vendre sur toute la planète. Nous, on ne peut pas : on a la France, on fera des films avec les économies qu'on aura, le marché va se scléroser petit à petit. A terme, on va vivoter, pas mourir, mais avoir un cinéma qui va se scléroser comme a pu le vivre le cinéma italien, qui était un des meilleurs du monde pendant au moins 20 ans..."

Tout cela arrive après une polémique sur le cinéma français... N'est-ce pas le moment de tout mettre sur la table ?

"C'est exactement pour cela aussi que l'on se bat pour l'exception culturelle : c'est la possibilité pour nous de définir notre avenir, d'y travailler. Si nous ne réfléchissons pas à comment intégrer les acteurs du numérique dans la boucle du financement... On ne demande que ça, à se rénover. L'argument de Barroso et De Gucht, c'est : "Ne vous inquiétez pas, on ne touche à rien de ce qui existe". Très conservateur ! Réactionnaire je ne sais pas, mais très conservateur. Nous disons : "Non, on ne veut pas ça, on veut pouvoir inventer l'avenir pour s'assainir, essayer d'être plus vertueux."

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 "En septembre avec Bérénice Béjo"