Contestation au Brésil : "Tous les ingrédients étaient là"

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SAISON 2012 - 2013, modifié à

Les protestations déclenchées au Brésil pouvaient être prévisibles selon Jean-Christophe Rufin. La faute revient à la croissance qui entame une stagnation.

Les principales déclarations de Jean-Christophe Rufin, écrivain :

 

Etes-vous surpris par la poussée de fièvre au Brésil ?

"Je ne suis pas Madame Soleil, je ne pouvais pas prévoir que les choses se passeraient comme ça. Ce qui est certain, c'est que tous les ingrédients étaient là : la période Lula, depuis les années 2000, a créé au Brésil une classe nouvelle, des gens moins pauvres, pas riches mais moins pauvres, une nouvelle classe moyenne. Fragile, avec une croissance très très forte et, depuis deux ans, la croissance brésilienne stagne, ils sont très dépendants des exportations, les zones où ils exportent, notamment l'Europe, sont en récession, ça se ressent dans le pays. Des gens qui ont une espérance, d'accéder aux hôpitaux, à l'éducation surtout, qui est fragile. Tout ça arrive là-dessus : la préparation des grands événements sportifs, qui coûtent très cher..."

On dit que le coût du Mondial 2014 a mis le feu aux foudres... Prétexte ?

"Je pense que, comme toujours au Brésil, c'est action, réaction : ces décisions avaient été saluées ! Les mêmes qui descendent dans la rue ont du descendre pour fêter les décisions quand ils obtenu la Coupe du Monde. Elles ont été prises il y a quelques années, quand le pays allait très bien ! Puis Lula est parti, Dilma Roussef qui n'est pas Lula, n'a pas son charisme même si elle est du même parti, lui a succédé... Depuis, ça patine. Il y a une espèce d'exaspération. Pourquoi ça se déclenche maintenant ? Un petit prétexte peut mettre les gens dans la rue."

 Les gens manifestent contre un gouvernement de gauche...

"Même très à gauche ! Qui est responsable d'une formidable amélioration de la situation au Brésil ! L'expérience Lula, ce n'est pas Chavez au Venezuela ! Il a mené une politique assez consensuelle sans toucher à la structure libérale de l'économie puissante du Brésil, mais en assurant une redistribution, en assurant un progrès social réel. C'est un gouvernement, si on le situe en continuité avec Lula, qui a amélioré les choses. Paradoxalement, ça s'est souvent produit dans l'Histoire : l'amélioration conduit à des exigences nouvelles et à une crise."

Que peut faire Dilma Roussef ?

"Elle peut tenir en laisse sa police et son armée, généralement pas tendres. Il faut éviter qu'ils tirent dans le tas, ça pourrait aggraver les choses. Deuxième chose : sortir Lula de sa naphtaline ! Il est malade, il a un cancer du larynx, mais il est là. Lui est écouté, il faut qu'il intervienne, c'est sans doute ce qui va se passer directement ou indirectement dans les heures qui viennent."

"Au delà de ça, le Brésil traverse une phase difficile mais il a de formidables possibilités de développement : il a découvert du pétrole, il a des gisements considérables. Un pétrole cher, difficile d'accès car sous-marin mais quand il sera au maximum de sa production, le Brésil sera le 6ème exportateur mondial. La croissance ralentie actuelle est un peu le croisement entre deux moments : une période industrielle en crise avant une période pétrolière qui va apporter une nouvelle prospérité au pays..."

Vous prévoyez un bel avenir au Brésil...

"Oui, je pense que c'est un pays qui a des richesses immenses, une industrie très diversifiée. C'est un pays de contraste, on l'a toujours dit, mais il est à la pointe de la technologie, ils fabriquent des fusées, des voitures, ils exportent de l'audiovisuel. C'est un pays très puissant, maintenant un pays pétrolier, ce sera un des grands pays pétroliers de la décennie qui commence. Il a tous les éléments pour aller bien : il y a aujourd'hui un cap difficile à passer..."

Avec la Coupe du monde, c'est un message assez négatif envoyé au monde... Faut-il craindre des incidents lors du Mondial ? Un printemps brésilien à ce moment-là ?

"La situation n'est pas du tout la même, ce n'est pas une dictature, les gens sont écoutés, la presse est très libre. Ce mouvement n'est pas du tout articulé, personne ne s'exprime pour le moment, c'est un mouvement très indigné, des jeunes qui mettent le feu à des pneus. Il y a des chances pour que tout se finisse par une bossa nova géante si tout se passe bien, ça peut aussi déraper... C'est très difficile à dire."

Des joueurs de foot se montrent solidaires des manifestants... Ils peuvent avoir un rôle politique ?

"C'est plutôt symbolique pour le moment. Ils n'ont pas de relais. Ces gens qui manifestent, leur relais principal à la limite, c'est le parti au pouvoir, le parti travailleur de Roussef et Lula ! Je pense qu'ils vont devoir lâcher du lest, un peu plus que les tickets de bus à mon avis, c'est anecdotique. Ce que veulent les gens au fond, c'est être rassurés sur le fait qu'on ne va pas dépenser tout l'argent dans cette Coupe du Monde, que l'effort social va se poursuivre. Ils en ont les moyens : le Brésil a des réserves, une puissance, mais il est inquiet. Dilma Roussef est venue à Paris : elle a insisté sur le fait qu'elle était contre ces politiques d'austérité. Evidemment, ils en paient le prix."