Tunisie : ils osent critiquer sur le web

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Ils contournent la censure en utilisant les réseaux sociaux. Mais la critique a un prix : la peur.

 

Chaque mot est pesé, réfléchi…mais presque aussi vite effacé. Sur Facebook ou Twitter, les Tunisiens se mobilisent, échangent, réagissent et s’émeuvent des derniers évènements qui secouent leur pays, depuis deux semaines et demie.

 

Tout a commencé le 17 décembre dernier quand un Tunisien de 26 ans, Mohamed Bouazizi, s’est immolé par le feu dans la région de Sidi Bouzid. Le jeune homme - qui voulait protester contre la saisie musclée par la police de son étal de fruits et légumes qu'il vendait sans permis pour faire vivre les siens - est décédé mardi soir. C’est par les réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter que la nouvelle de son acte s’est propagée, déclenchant des mouvements de protestation un peu partout dans le pays. Et c’est sur ces mêmes réseaux sociaux que les Tunisiens continuent à se mobiliser face au pouvoir et à Zine el Abidine ben Ali, à la tête du pays depuis 23 ans. Les commentaires et les posts se font de plus en plus nombreux. Mais ces internautes restent extrêmement prudents, car la critique peut coûter cher.

 

"Dis à ta femme de fermer sa bon dieu de gueule"

 

Malika* le raconte sur Facebook. Après avoir posté des liens vers différents articles sur les manifestations dans la région de Sidi Bouzid, la jeune femme écrit sur son mur : "mes amis, un "monsieur au numéro masqué" a appelé mon mari hier au téléphone et lui a dit : pour ton intérêt, dis à ta femme "tsakkar rab fommha" (de fermer sa bon dieu de gueule). Je fais quoi ?". Les amis du couple ont été nombreux à répondre à ce message. Certains lui conseillent de faire attention à ses propos ou même de faire "le tri dans ses amis", d’autres la rassurent en lui disant qu’elle n’a fait que poster des liens vers des articles ; d’autres encore saluent son courage.

 

"Cela ne m’étonne pas du tout", confie Chaza*, une amie de Malika, à Europe1.fr. "Ce sont sûrement les sbires du ministère de l’Intérieur tunisien qui sont derrière ce coup de fil", estime la jeune femme. Chaza et son époux ont, eux, fait le choix de se taire. "Ce n’est pas qu’on n’est pas révoltés, bien au contraire, mais nous ne voulons pas faire vivre à nos enfants ce que nous avons subi", explique cette Tunisienne qui vit en France. Car Chaza a peur des représailles.

 

" Ils ne peuvent quand même pas toutes les arrêter"

 

"Je fais du business avec la Tunisie et pour moi, l’évolution de mon pays passe par le développement économique. Je préfère donc me taire sur Internet et être sûre que mon projet verra le jour. C’est ma manière d’aider mon pays", estime la femme d’affaires, qui confie faire attention, "et pas seulement sur Facebook. Nous sommes très prudents dans les discussions quand nous ne sommes pas sûrs de qui se trouve dans l’assistance".

 

Sur Twitter, également, les échanges sont nombreux. Mais le risque est moindre sur le site de micro-blogging car les auteurs de messages peuvent se réfugier derrière des pseudonymes. "Il s’agit surtout d’échanger des informations, des liens vers des articles, il n’y a pas forcément de commentaires personnels", explique Noujoud, une Tunisienne qui vit à Paris. "Mais on sent que phénomène prend de l’ampleur sur Internet. Je me dis que si 5.000 personnes se mettent à poster des messages de contestation, ils [les services de sécurités tunisiens] ne peuvent quand même pas toutes les arrêter", analyse la jeune femme, qui espère que "le nombre fera la force".

 

C’est également l’espoir des créateurs de la page Facebook "Soutien Tunisie" qui appellent à "un grand rassemblement contre la répression en Tunisie" à Paris le week-end prochain. "Après avoir réussi à contourner la censure de certains médias complices de la dictature criminelle et corrompue de Ben Ali, les citoyens tunisiens et leurs amis doivent manifester pour que la vérité soit connue de tous !", écrit le comité sur le mur de sa page. "L’invitation" a été envoyée à plus de 3.000 personnes. Mais pour le moment seules 315 ont osé répondre qu’elles viendraient.

 

* Tous les prénoms ont été changés par sécurité pour les personnes qui témoignent dans cet article.