Tunisie : Ennahda s'en va mais....

Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, et les dirigeants des partis d'opposition ont paraphé une feuille de route prévoyant normalement la désignation avant la fin de la semaine prochaine d'un Premier ministre indépendant qui aura deux semaines pour former son cabinet.
Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, et les dirigeants des partis d'opposition ont paraphé une feuille de route prévoyant normalement la désignation avant la fin de la semaine prochaine d'un Premier ministre indépendant qui aura deux semaines pour former son cabinet. © Reuters
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Charles Carrasco , modifié à
LA REPONSE DE - Pour Béligh Nabli, le parti islamiste veut montrer sa capacité à privilégier l’intérêt national.

L’INFO. Les deux dernières années, celles de la transition en Tunisie, ont été très mouvementées. Ce week-end, le parti islamiste tunisien Ennahda, qui est au pouvoir avec deux autres formations de gauche (CPR, Ettakatol), a promis qu’il quitterait la tête de l'Etat en octobre. Ce sont des "indépendants" qui vont donc remplacer la coalition gouvernementale. Ce mandat, que les islamistes avaient obtenu après leur victoire aux élections législatives d’octobre 2011, a été marqué par la mort d’opposants mais également par une crise sociale. 

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© Iris

>>> Quelle est la portée de ce départ ? Béligh Nabli, directeur de recherches à l’Iris et auteur de Comprendre le monde arabe, décrypte pour Europe1.fr cet événement politique.

E1.fr : Pourquoi les islamistes ont-ils décidé de quitter le pouvoir ?

B.N. : Ils ont fait preuve de réalisme et de pragmatisme, eu égard au bilan assez catastrophique sur le plan économique et social de leur propre gouvernance. Cette décision est d’une certaine manière un moyen de sauvegarder l’espoir de revenir au pouvoir à l’occasion de futures élections et ainsi partager la responsabilité politique de l’échec. Ils veulent essayer de démontrer une capacité à penser l’intérêt national, une ouverture politique. Il y a là un acte de compromis. Et celui-ci a été pensé au regard du précédent égyptien : Morsi et les Frères musulmans n’ont pas su faire preuve d’une certaine souplesse, d’un pragmatisme une fois au pouvoir et c’est cette rigidité qui a conduit, en partie, à leur déchéance.

E1.fr : Quel est justement le bilan de ce gouvernement ?

B.N. : Il est catastrophique mais toute la question est de savoir quelle est la part de responsabilité de ce gouvernement. Une période post-révolutionnaire, est, par définition, une période d’instabilité économique et sociale. Dans le même temps, ce n’est pas un argument qui justifierait une déresponsabilisation d’Ennahda et de son gouvernement. Ces leaders ont fait preuve d’incompétence, d’incapacité à prendre un certain nombre de mesures. Ils n’ont pas voulu s’appuyer sur des compétences existantes et ont préféré faire preuve d’une forme de dogmatisme. Un exemple est frappant : le renvoi du président de la Banque centrale tunisienne, un haut fonctionnaire de la Banque mondiale, qui avait accepté ce poste après la révolution. La part de symbolique a pris le dessus sur l’exigence de compétences.

E1.fr : La situation des Tunisiens ne s'est donc pas améliorée depuis la révolution ?

Tunisie,

© REUTERS

B.N. : Non, il y a un chômage endémique avec les mêmes victimes, à savoir la jeunesse. La situation s’est même aggravée puisque l’instabilité politique a nourri l’instabilité économique. Des secteurs comme le tourisme sont devenus des producteurs de chômage. Les investisseurs privés étrangers sont également découragés. L’inflation est peut-être le phénomène le plus spectaculaire. Cette question est devenue fondamentale notamment à la veille de l’Aïd où des Tunisiens prévoient d’acheter un mouton. Le gouvernement a dû en importer pour tenter de juguler le prix.

E1.fr : Ennahda a posé ses conditions avant de partir. Les islamistes veulent boucler la rédaction de la Constitution. Pourquoi les islamistes tiennent-ils autant à laisser cette empreinte ?

B.N. : Ennahda ne veut pas sortir de cette séquence de transition sur un échec total mais sur un acquis. Les islamistes bénéficient d’un rapport de force favorable au sein de l’Assemblée nationale constituante. Ils peuvent ainsi imposer le ton, voire l’esprit général de cette constitution. Ennahda a su reculer sur plusieurs points, notamment sur le fait que la charia ne serait pas consacrée comme source du droit par la Constitution. Par contre, parmi les points qui font encore obstacles à la conclusion d’un tel texte, il y a la reconnaissance de la liberté de conscience. Autrement dit, l’idée même d’être athé n’est pas prévu par la Constitution, ce qui impliquerait que le religieux serait une référence sociétale primordiale.  

E1.fr : Ce départ d’Ennahda va-t-il laisser un vide politique ? Peut-on craindre un retour des fidèles de Ben Ali ?

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B.N. : Ce retrait du gouvernement ne signifie pas un retrait de la vie politique d’Ennahda. Ce parti souhaite continuer à exercer une forme de leadership au sein de l’échiquier tunisien. Pour autant, ce leadership est contesté par la montée en puissance d’un parti d’opposition de centre-droit, Nida Tounès. Il a pour chef un leader qui avait travaillé avec Habib Bourguiba (président de 1957 à 1987, ndlr) mais qui s’est allié avec d’anciens membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali. Il n’y a pas de craintes d’une contre-révolution mais d’un retour en force d’hommes liés à l’ancien régime. Ce retour en grâce n’est pas vécu comme un risque politique par les Tunisiens. L’essentiel pour eux est la naissance, la création et l’institutionnalisation d’une alternative et d’une opposition forte face à Ennahda. Quels que soient les acteurs de cette alternative.