La secte Moon survivra à son "Maître"?

Le révérend Sun Myung Moon, fondateur et chef de l'Eglise de l'unification est mort lundi en Corée du Sud à l'âge de 92 ans.
Le révérend Sun Myung Moon, fondateur et chef de l'Eglise de l'unification est mort lundi en Corée du Sud à l'âge de 92 ans. © REUTERS/Lee Jae Won
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PORTRAIT - Le fondateur Sun Myung Moon est mort, laissant des millions d'"orphelins".

"N.M" est mort lundi, laissant toute sa "famille" orpheline. "N.M.", c'est l'abréviation pour "Notre Maître", utilisée à des centaines de reprises au travers des lignes du site français consacré à Sun Myung Moon, fondateur de l’Église de l'Unification. Ce dernier s'est éteint en Corée du Sud à l'âge de 92 ans, des suites de complications d'une pneumonie.

Le "révérend Moon" laisse derrière lui un empire, spirituel et économique, dont la survie est loin d'être garantie, tant l’Église était dépendante du culte de sa personnalité. Europe1.fr en dresse le portrait.

À 16 ans, Jésus lui demande de prendre le relais

Sun Myung Moon naît dans une famille de fermiers dans ce qui est aujourd'hui la Corée du Nord. "N.M" se convertit au christianisme à 10 ans. Le site Internet de l'Eglise de l'Unification raconte qu'il aimait les oiseaux et s'intéressait aux insectes. Qu'il était capable, enfant, de chasser la belette toute une nuit. Et qu'il pouvait se battre pendant des jours pour gagner un combat à main nues face à des enfants plus âgés que lui, avec pour seul répit "une pause pour aller aux toilettes".

À 16 ans, Jésus lui serait apparu. Le fils de Dieu ne lui aurait confié rien de moins que la mission de terminer ce qu'il avait commencé : "sauver l'humanité". Sun Myung Moon, réticent au départ, aurait finalement accepté face à l'insistance de Jésus.

Cap écran Moon

© Capture d'écran unification.net

Mais il semble difficile de démêler le vrai du faux dans ce récit. Car le culte de l’Église de l'Unification est intimement lié à son fondateur, dont l'histoire s'est propagée grâce aux fidèles. "L'image très forte de Sun Myung Moon, ancrée chez ses fidèles, est ce qui permettait à l’Église de tenir", décrypte pour Europe1.fr Raphaël Liogier, directeur de l'Observatoire religieux et auteur de Soucis de soi, conscience du Monde, sur l'évolution des sectes.

C'est après avoir construit sa première église, en 1954, que Sun Myung Moon et ses missionnaires ont exporté la légende du "Maître". Ils commencent par le Japon, puis les États-Unis, où Moon vit pendant vingt ans, et s'offrira même une polémique après avoir défendu publiquement Nixon sur le Watergate. Pendant ce temps, ses missionnaires sont envoyés dans plus de 120 pays. Moon retournera finalement en Corée du Sud, suite à une condamnation pour exil fiscal et un an passé en prison.

Marié en avril 1960 à Hak Ja-han, il laisse aujourd'hui 14 enfants et 20 petits-enfants. Le couple se fait appeler les "Vrais Parents" et sa progéniture les "Vrais Enfants" par les adeptes, rapporte Le Monde.

"L'Eglise est devenue une entreprise capitaliste"

L’Église de l'Unification revendique aujourd'hui trois millions d'adeptes. Elle est érigée au rang de secte en France par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). "Elle véhicule un message apocalyptique en prédisant l'inéluctabilité et la nécessité d'une troisième guerre mondiale, dont le but serait la destruction finale du communisme et l'avènement de la souveraineté divine", se justifiait ainsi la Miviludes, dans un rapport en date de 1990, cité par le quotidien du soir.  Les détracteurs de l'église critiquent le lavage de cerveau qu'elle infligerait à ses disciples, souvent appelés "Moonies".

Manifestation la plus spectaculaire de la dévotion des adeptes : les mariages. Ceux-ci, célébrés par le maître en personne, rassemblaient des dizaines de milliers de personnes. Les disciples se mariaient entre eux, souvent sans se connaître avant la cérémonie, et devaient apporter une "modique" contribution pour l'organisation des festivités, allant de 60 à 2.000 dollars selon la situation économique du pays.

Moon mariage

© REUTERS/Lee Jae Won

Une des "dérives" qui risquent de conduire à la disparition de la secte, selon certains spécialistes. "Ces mariages organisés et massifs, mêlés, si je me souviens, à quelques scandales sexuels, ont terni l'image de l’Église", affirme le spécialiste Raphaël Liogier. "Le mouvement se servait du charisme de Sun Myung Moon à des fins commerciales. Ces mariages rapportent beaucoup. C'est devenu une entreprise capitaliste plus que spirituelle. Je ne pense pas qu'elle survive à sa mort", avance le directeur de l'Observatoire religieux.

Selon le chercheur, ce type de secte "est en perte de vitesse" : "Les personnes perdues, en quête de sens, cibles des sectes, se tournent désormais davantage vers des cabinets individuels, types coachs personnels, qui vont prodiguer des conseils, pratiquer le yoga etc.", affirme-t-il.

Une guerre de succession en vue

Au-delà de ses activités "spirituelles", Sun Myung Moon gérait un empire industriel. Construction, alimentaire, édition, "N.M" possèdait des sociétés partout. Il avait même fait sa place dans les médias, créant notamment en 1984 le quotidien américain Washington Times. Il était propriétaire de plusieurs journaux conservateurs en Corée du Sud, notamment le Segye Times, ainsi que de l'agence de presse UPI. L’Église possède encore le New YorkerHotel de Manhattan, ainsi qu'une équipe de football professionnelle et des hôpitaux en Corée et au Japon.

Sun Myung Moon, a enfin, développé des activités en Corée du Nord après une visite en 1991, au cours de laquelle il a rencontré le leader Kim Il-sung, le grand-père de l'actuel dirigeant. Il y a investi dans les années 1990 et cogère aujourd'hui l'usine automobile Pyeonghwa Motors, détaille Le Monde lundi. Autant d'intérêts qui font qu'une guerre de succession fait rage depuis l'annonce de la maladie de "Notre Maître". "Moon n'a pas choisi son fils aîné pour reprendre le flambeau. Il en a choisi un autre, explique Raphaël Liogier. Or celui-ci ne veut pas se laisser faire et l’Église est entrée dans un conflit d'intérêt."

Contactée par Europe1.fr, la branche française de la secte nous a fait savoir son intention de ne pas communiquer sur son avenir. Attaquant au passage les médias. "Après nous avoir craché dessus pendant des années, avoir détruit nos carrières, nos relations avec notre famille, vous voudriez en plus que notre histoire vous rapporte du pognon?", a répliqué un des membres.