La charia bientôt appliquée en Libye ?

© REUTERS
  • Copié
Morgane Tual , modifié à
Le CNT a affirmé que la nouvelle législation du pays serait régie par la loi islamique.

"En tant que nation musulmane, nous avons adopté la charia islamique comme source du droit", a déclaré le président du Conseil National de Transition, dimanche à Benghazi. A l'occasion de son discours de la "libération", Moustapha Abdeljalil a ensuite précisé, devant des dizaines de milliers de Libyens : "toute loi qui violerait la charia est légalement nulle et non avenue".

Ce n'est pas une surprise, puisque mi-septembre, avant la chute de Mouammar Kadhafi, le président du CNT avait déjà annoncé que l'islam serait la principale source de législation de la nouvelle Libye, tout en rejetant "l'idéologie extrémiste". "On avait une coloration islamique du CNT évidente dès le départ", avec des composantes allant des islamistes "modérés" jusqu'aux extrémistes de type anciens salafistes djihadistes et en passant par des proches des Frères musulmans, a expliqué lundi au micro d'Europe 1 le sociologue et politologue Vincent Geisser.

Concrètement, à quoi doit-on s'attendre ? La charia n'ayant aucune existence écrite, elle se base sur une interprétation du Coran, qui peut varier du tout au tout d'un pays à l'autre.

Interdiction du divorce

"On met ce qu'on veut dans la charia", explique ainsi à Europe1.fr Saïd Haddad, maître de conférences aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan, en rappelant que celle-ci avait déjà été instaurée par Kadhafi en 1994. "Ca peut aller d'un rappel de principes généraux de la religion, comme le partage et la justice, à des choses plus précises, comme la lapidation des femmes". Vincent Geisser confirme que le sens de la charia dépend fortement de son interprétation et de la jurisprudence qu'on lui associe.

Reste que cette fois, les choses vont plus loin qu'une simple déclaration d'intention, puisque Moustapha Abdeljalil a d'ores et déjà donné quelques indications précises. Parmi les exemples les plus frappants, l'abolition d'une loi interdisant la polygamie et autorisant le divorce.  "Cette loi est contraire à la charia et elle n'est plus en vigueur", a-t-il affirmé.

"Une déclaration d'intention"

Dans son discours, le président du CNT a également annoncé la création prochaine de "banques islamiques" qui, conformément à la loi islamique, interdisent de toucher des intérêts. Moustapha Abdeljalil a aussi demandé aux Libyens de cesser les pillages et de ne plus manifester leur joie par des tirs en l'air, "c'est interdit par la charia car cela peut blesser des civils".

Des déclarations "un peu surprenantes", selon Saïd Haddad. "Il ne me semble pas que ces questions soient à l'ordre du jour d'un pays qui sort d'une guerre et de 42 années de dictature". Selon lui, "c'est plutôt une déclaration d'intention, on verra comment ça va se traduire. D'autant plus qu'il s'agit d'une décision unilatérale, ce qui va à l'encontre de ce qui a été professés sur la volonté de démocratie". Pour Saïd Haddad, tant que la nouvelle Constitution ne sera pas adoptée, la Libye sera dans "un no man's land juridique".

Trop tôt pour s'alarmer

Didier Billion, rédacteur en chef de la revue Internationale et Stratégique, estime également qu'il est trop tôt pour s'alarmer. " Ce n'est pas parce qu'on prononce le mot charia qu'il faut avoir un réflexe pavlovien et croire qu'une dictature islamiste va se mettre en place. Il n'y a pas encore assez d'éléments pour le moment."

Ce spécialiste prône toutefois la vigilance. "Les puissances qui sont intervenues dans le conflit ont un peu joué avec le feu. On ne maîtrise pas idéologiquement les leaders de l'insurrection. Les semaines à venir risquent de nous réserver des surprises très désagréables." Avant de conclure : "Maintenant que Kadhafi est mort, il y a une deuxième page à écrire. Et celle-ci est totalement blanche".