Sept questions sur les neknominations

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Ce phénomène, transposition d'un jeu à boire sur Internet, n'est pas sans danger.

Si vous avez des adolescents dans vos contacts Facebook, vous avez certainement vu émerger le phénomène des neknominations sur vos timelines. Venue d'Australie, cette mode s'est d'abord propagée au Royaume-Unis, puis en Irlande, pour finalement débarquer en France au début du mois. Comme tous les jeux d'alcool, le principe est simple : boire un verre et appeler trois copains à faire pareil. Le tout devant être filmé et mis en ligne, généralement sur Facebook ou Youtube. Europe1.fr vous résume tout ce qu'il faut savoir sur ce phénomène.

Quel est le concept ? Le phénomène a débuté en Australie en janvier dernier. "Un mec a bu sa bière cul sec et a dit à son copain: c'est ton tour maintenant. C'est devenu une mode, et ensuite quand j'ai créé ma page, ça a pris plus d'ampleur. Cette mode s'est propagée en Australie, en Nouvelle-Zélande, et maintenant ça touche même l'Europe" a expliqué Jay Anthony au site Vice.

Le terme neknomination est tiré de l'anglais "Neck your drink" qui signifie cul-sec en français. Le mot "nomination" implique que les personnes s'adonnant à ce jeu doivent donc boire cul-sec leur verre d'alcool, avant de nommer trois amis qui devront faire de même. Les personnes nommées doivent à leur tour se filmer, poster leur vidéo sur les réseaux sociaux et citer plusieurs noms. Et ainsi de suite. Un jeu au fort potentiel viral donc.

Neknomination video facebook

© Cature Facebook

Pourquoi ça inquiète ? Tellement viral que le concept d'origine a été détourné au profit d'une surenchère donnant lieu à de nombreux dérapages. Les internautes ne se contentent plus de se filmer tranquillement chez eux, derrière leur webcam. Ils préfèrent en effet se mettre en scène dans des situations périlleuses. Un jeune Australien s'est par exemple filmé en train de boire un verre sur sa planche de surf. Sur une autre vidéo, on voit un garçon boire alors qu'il est au volant d'une voiture. D'autres boivent la tête à l'envers, la tête plongée dans une cuvette de toilette. Les filles, elles se montrent sous des postures affriolantes. En témoigne cette vidéo montrant une jeune femme en sous vêtement sexy… buvant une bière en plein milieu d'un supermarché.

Il boit une bière... depuis son aquarium :

Mais au delà des mises en scène farfelues, la surenchère se joue également au niveau des quantités d'alcool ingurgitées. A l'image de ce jeune homme qui s'enfile trois bières en 30 secondes. Pour d'autres, la "performance" consiste à boire les cocktails les plus incongrus. C'est d'ailleurs après avoir avalé un "mélange létal de vin, bière, vodka et whisky" qu'Isaac Richardson, un Britannique de 29 ans, est mort le 7 février dernier. Comme lui, trois autres personnes ont perdu la vie dans des circonstances plus ou moins liées aux neknominations. Pour alerter contre ces dérapages, Nikki Hunter, une mère de famille, a rendu publique une photo de son fils, retrouvé inconscient dans son vomi, après avoir été nommé par ses amis pour une neknomination.

Et en France ? En France, les pratiques du neknomination semblent être plus "soft". Mais l'engouement n'en est pas moindre. La page Facebook "Neknomination France", créée il y a une dizaine de jours, totalise aujourd'hui 25.222 fans. "J’ai lancé le groupe Facebook tout seul, le 10 février dernier. J'y ai posté ma propre vidéo de neknomination que j'avais réalisée avec mes collègues", explique le créateur de la page, Jérémy, âgé de 17 ans, interrogé par Jolpresse.

Neknomination France

© Capture Facebook

Les vidéos de la page Facebook "Neknomination France" sont généralement faites en reprenant les règles de base (chez soi, face caméra, un verre d'alcool à la main). Jérémy semble en effet vouloir éviter les dérapages. "Les vidéos dorénavant postées seront des vidéos de personnes majeures (ou ayant l'air!) ingurgitant une quantité d'alcool ne nuisant pas à leur santé. Ceci pour des soucis de préservation de la page", écrit-il maladroitement sur la page Facebook du groupe. Une précaution qui apparaît insuffisante alors que le droit français punit de deux ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende toute personne qui inciterait un mineur à boire de "façon excessive et habituelle".

Comment réagit Facebook ? La direction du réseau social en France dit prendre le phénomène très au sérieux. "Nous sommes très attentifs, confie une porte-parole. Nous sommes attachés à la liberté d’expression mais nous avons aussi des règles très strictes. Si cela dépasse les limites, nous supprimerons les vidéos et les pages", assure la direction de Facebook, interrogée par 20 Minutes.

Si Facebook France se montre vigilant et attentif, c'est un peu moins le cas du porte-parole monde du réseau social, qui semble plus souple au sujet des critères de validation des pages neknomination. "Nous ne tolérons pas les contenus directement néfastes, comme ceux qui sont intimidants, mais un comportement controversé ou offensant ne va pas nécessairement à l’encontre de notre règlement", a détaillé un porte-parole au journal The Independent.

Une neknomination sur un surf

© Capture youtube

 Un jeu d'alcool comme les autres ? Mais ce phénomène s'inscrit dans une mode bien plus ancienne d'alcoolisation massive et rapide. "Se lancer des défis au niveau de l'alcool ça a toujours existé", commente Xavier Pommereau, médecin psychiatre à Bordeaux, interrogé par Europe 1. Les neknominations seraient donc une transposition sur Internet des jeux d'alcool déjà très répandus dans les soirées étudiantes ou dans les bars. "Finalement, on pourrait qualifier ce phénomène de 'web binge drinking' ou de 'binge drinking virtuel' qui peut entraîner à terme une chaîne infernale", résume Laurent Karila, psychiatre et addictologue à l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif, et vice-président de Sos Addictions, interrogé par BFMTV.

Un avis partagé par le sociologue John Suler, professeur de psychologie et spécialiste des nouvelles technologies à la Rider University, située dans l'Etat du New Jersey. Contacté par Slate, ce dernier estime en effet que "les normes sociales dans le rapport à l’alcool sont les mêmes sur Facebook et dans la vie réelle, même si ces normes pourraient être exagérées sur le réseau social".

trois bières en 40 secondes pour une neknomination

© Capture Youtube

En quoi Internet change la donne ? La seule différence repose donc dans le fait de rendre cette pratique publique. "La particularité dans le cas précis, c'est que le défi est filmé et mis en ligne sur Internet. Donc, les contrôles qui pouvaient avoir lieu en direct disparaissent. Là où on disait : "tu n'es pas cap de boire toute la bouteille" et quand le copain en était à la moitié de la bouteille, on pouvait lui dire d'arrêter. Cette fois, ce n'est pas le cas et le défi est poussé à l'extrême. Le deuxième danger, c'est qu'il faut faire toujours plus spectaculaire", résume Xavier Pommereau, le spécialiste de l'adolescence.

Les psychiatres alertent également sur une démarche de mise en avant de soi excessive. "Nous voyons tout de même des jeunes gens vider cul-sec une bouteille de vodka !  Un des facteurs qui propage ce phénomène, c'est le besoin d'être populaire, sur une page Facebook notamment, en publiant quelque chose qui recueille énormément de 'like' de la part des internautes qui regardent. "Le jeu est très "narcissisant", puisque l'on filme sa prouesse. C'est la compétition de l'excès", abonde Laurent Karila, psychiatre et addictologue. "Ce phénomène se greffe sur le phénomène d'alcoolisation et l'amplifie", résume Xavier Pommereau, qui déplore la méconnaisse d'un grand nombre de parents sur ce genre de phénomène.

Neknomination sous vetement

© capture youtube

Quelles conséquences pour son image numérique ? Car dans quelques années, de nombreux jeunes risquent bien de se retrouver dépassés par ces images d'alcoolisation qui circuleront d'eux sur Internet. Généralement publiées sur des pages Facebook publiques, les vidéos des neknominations sont en effet accessibles et visibles par tous. Me Anthony Bem, avocat spécialiste du droit sur Internet, appelle donc à une meilleure sensibilisation des ados sur ces questions. "De manière générale, et surtout lorsqu'on est plus jeune, on n'est pas totalement maître de l'image que l'on laisse sur le toile. Il faut donc donner inciter les adolescents à être vigilants et prudents. Ce genre de vidéos peut poser problème à l'âge adulte. Parce qu'il est très difficile de supprimer son image numérique. Il y a un vide législatif sur la question", informe l'avocat, interrogé par Europe1.fr.

Dès jeudi dernier, le ministère de l’Intérieur a d'ailleurs posté un message sur son site pour mettre en garde contre les dangers de la consommation d’alcool mais également sur les risques de l'image sur Internet. Le ministère rappelle que ces photos et vidéos, qui ne sont jusqu'ici qu'un jeu, restent dans les archives d'Internet et constitue un "casier médiatique" qui risque de suivre les individus toute leur vie.