Peut-on parler d'"importation du conflit israélo-palestinien"?

Peut-on vraiment parler d' "importation du conflit" en France ?
Peut-on vraiment parler d' "importation du conflit" en France ? © Reuters
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Damien Brunon , modifié à
LA QUESTION - Si les débordements en marge des manifestations ont marqué le week-end, l’expression correspond-elle vraiment à la situation ?

L’INFO. Alors que la France se retrouve confrontée à une exacerbation des tensions liées au conflit israélo-palestinien, certains responsables politiques français en sont convaincus : l'Hexagone est menacé par l'“importation du conflit israélo-palestinien” sur son territoire.  “Il ne doit pas y avoir d’importation du conflit en France”, lançait ainsi dès vendredi François Hollande depuis le Niger, où il était en voyage officiel. "Non a l'importation du conflit", a tweeté dimanche l'ancienne ministre UMP Valérie Pécresse. “Il y a une importation du conflit”, a de son côté affirmé lundi le vice-président du FN Florian Philippot. Utilisé dans le discours politique depuis la deuxième Intifada, au début des années 2000 (Le 7 avril 2002, un commissaire de police avait été attaqué à l'arme blanche en marge d’une manifestation pro-israélienne”, ce concept repris aujourd'hui par les politiques et les médias correspond-il à la réalité ? Que recouvre-t-il ? Éléments de réponse.

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Une expression imagée… L’usage de cette expression est avant tout un élément de communication très efficace selon Virginie Spies, sémiologue et analyste des médias, interrogée par Europe1. “Si elle n’est pas très appropriée en terme de justesse, l’expression a au moins le mérite d’être parlante”, constate-t-elle. ”C’est complètement flou, mais ça fait passer une idée. C’est un phénomène assez courant que de qualifier des événements en utilisant un concept dont on peut se resservir”, poursuit la spécialiste.

Cette dernière rappelle d’ailleurs que ce n’est pas la seule expression utilisée à tort et à travers dans notre quotidien. Dans un autre registre, le concept d’“ascenseur social” a connu la même popularité que “l’importation du conflit”. “Les médias raccourcissent, veulent aller très vite et si une formule fait mouche, elle fera mouche pendant un bon moment”, avance Virginie Spies.

Sur les réseaux sociaux, certains s'agacent de l'emploi de cette expression :

… Bien loin de la réalité. Pourtant force est de constater que ce qui se passe depuis plusieurs semaines dans la bande de Gaza et les débordements en marge des différentes manifestations en Île-de-France de ces derniers jours n’ont strictement rien à voir. A l’heure où ces lignes sont écrites, les chars de Tsahal, l’armée israélienne, ont fait leur entrée depuis plusieurs jours dans la bande de Gaza, ses avions pilonnent les positions du Hamas. En face, les forces de l’organisation terroriste tirent sur Israël des dizaines de roquettes tous les jours. Depuis le début de l’opération “bordure protectrice”, environ 500 Palestiniens et une quinzaine d’Israéliens, en grande partie des militaires, sont morts. En France, les répercussions se résument pour l’instant à moins de dix policiers blessés et quelques dizaines d’arrestations, malgré les milliers de personnes présentes lors des différentes manifestations.

“Il y a un vrai hiatus entre la vérité du terrain de la guerre et des actes, parfois graves, qui se passent en France”, selon Virginie Spies. Cet écart avec l’idée que l’on peut se faire de ce qui se passe dans l’Hexagone avait d’ailleurs déjà été constaté par l’historien Marc Hecker dans son livre “Intifada Française ? - De l’importation du conflit israélo-palestinien”. “La deuxième Intifada a fait plus de 4.000 morts côté palestinien et plus de 1.000 côté israélien. En France, l’acte le plus grave recensé demeure l’attaque à l’arme blanche contre un commissaire de police en marge d’une manifestation pro-israélienne, le 7 avril 2002”, écrivait le spécialiste en 2012.

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Vraie dans le passé. La récente popularité de l’expression est d’autant plus étonnante que, si elle ne représente en rien ce qui se passe aujourd’hui en France, elle aurait été plus justement utilisée dans les années 70. A l’époque, les Palestiniens avaient opté pour une stratégie d’internationalisation du conflit.

A l’époque, explique Marc Hecker dans son livre, “la France subit les conséquences de l’exportation du conflit israélo-palestinien, qui se manifeste essentiellement de deux manières : des attentats commis par différentes groupes palestiniens d’une part et, d’autre part, des assassinats ciblés perpétrés, entre autres, par les services secrets israéliens”.

“L’importation”, au sens propre du terme, pouvait donc être utilisée puisque les acteurs du Moyen-Orient venaient faire leur guerre sur notre territoire. “Les méfaits au cours de la première décennie du 21ème siècle sont quant à eux imputables à des acteurs locaux”, ajoute l’historien.

Manifestation pro palestinienne Paris 930620

© REUTERS/Philippe Wojazer

Un concept dangereux. Le problème, c’est que véhiculé sans prise de recul, l’idée de cette “importation” ne représente pas du tout la réalité. “Au final, l’expression ne veut quasiment plus rien dire. Est-ce qu’on parle des casseurs des Sarcelles ou de l’Intifada ? On va finir pas comparer des casseurs de Sarcelles à des guerriers, les faits de délinquance aux faits de guerre, c’est dangereux”, s’inquiète la sémiologue Virginie Spies.

Derrière ça, la spécialiste dénonce plus largement la manière dont on parle désormais du conflit. “On va finir par ne parler de Gaza que par le biais de cette fameuse ‘importation’, prévient-elle. Si on observe les deux JT de 13 heures de lundi, ils ont parlé du conflit israélo-palestinien, non pas en évoquant ce qui se passe là-bas, mais en parlant de ce qui s’est passé à Sarcelles. Au final, on parle plus de Sarcelles que de Gaza et on se permet d’illustrer le conflit international au travers ces images-là. C’est un problème parce qu’en rien ça ne peut illustrer ces choses là, c’est autre chose”.