Manif pour tous : ce flou, c'est louche ?

Une des photos polémiques du cortège du 24 mars, avenue de la Grande Armée, publiées par la Préfecture.
Une des photos polémiques du cortège du 24 mars, avenue de la Grande Armée, publiées par la Préfecture. © Prefecture de police de Paris
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ENQUETE - La Préfecture se défend d'avoir truqué des photos du 24 mars. Revue d'arguments.

FLOU. Les opposants au mariage pour tous ont-ils été floués par la préfecture de police de Paris ? Un court documentaire, publié sur Facebook samedi dernier et largement partagé par la sphère Internet des "antis" puis relayé par Frigide Barjot en personne, accuse "la préf" d'avoir truqué des clichés aériens du rassemblement du 24 mars dernier. Le but selon eux ? Minorer le nombre de participants à cette manifestation. Selon les organisateurs, ils étaient 1,6 million ce jour-là, entre la place de l’Étoile et le pont de Neuilly. Ils n'étaient en réalité que 300.000, selon les chiffres officiels, ceux de la police. Mardi, alors même que l'Assemblée nationale adoptait définitivement le projet de loi, la Préfecture de police, a invité la presse à visionner la vidéo dont sont extraites les photos du "complot". Explications

La thèse du documentaire. Pour appuyer son estimation contestée par les "antis" dès le 24 mars, la Préfecture avait décidé de publier sur son site 28 clichés aériens pris lors de la manifestation. Ces photos sont issues d'une vidéo capturée par la caméra d'un hélicoptère de la sécurité civile qui a survolé le rassemblement en plusieurs lieux. L'objectif officiel étant ici d'argumenter sur le fait que le cortège n'était pas aussi dense et homogène dans son ensemble. Le journaliste indépendant Pierre Barnérias a alors contacté par un "bloggeur qui a manifesté le 24 mars". Il lui a présenté sa thèse des photos "truquées".  C'est le point de départ de ce documentaire à charge contre la Préfecture.

"A qui profite le flou ?", le doc polémique :

Sur les clichés, effectivement de très mauvaise qualité, apparaissent de larges zones de flou : des arbres dépourvus de feuilles sous lesquels les manifestants disparaissent. C'est ici que le "trucage" serait le plus flagrant : les "falsificateurs" auraient grossièrement ajouté des arbres pour gommer les "antis". Car, selon le documentaire-polémique, une "bonne partie" de ces photos ont été "retouchées". "Surtout celles de l'avenue de la Grande Armée, là où il y avait le plus de monde", précise le journaliste Pierre Barnérias.

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© Prefecture de police de Paris

Pour accréditer cette démonstration, Pierre Barnérias a soumis les clichés "polémique" à quatre laboratoires, en Belgique, en Angleterre et aux États-Unis. Pour trois d'entre eux , "ces photos ont parfois grossièrement été retouchées", selon ce journaliste. Pour enfoncer le clou, Pierre Barnérias, s'est ensuite adressé au labo photo de l'AFP, qui dispose d'un logiciel de "détection des retouches", TunGstène. Un technicien de l'agence a analysé les clichés face caméra. Pour lui, le constat est sans appel : si "rien n'a été ajouté ou gommé" des "choses ont été tellement mélangées qu'elles n'apparaissent plus".  Sauf que l'AFP a ensuite démenti ces conclusions après visionnage de la vidéo originale. Les photos mises en ligne par la préfecture de police, de très basse définition, sont "tellement compressées qu'il en résulte une déperdition d'informations qui pouvait laisser penser qu'elles avaient été retouchées", précise l'agence.

La réponse de la préfecture.  Mardi, lors de la conférence de presse animée par René Bailly, directeur du renseignement à la préfecture de police et Jean-Michel Avon, chef de division à la sous-direction de l'information générale ont répondu à cette démonstration. Non sans quelques confusions techniques. "Les yeux dans les yeux, nous n'avons pas truqué ces images", a assuré René Bailly.

>> Europe1.fr a pu assister à cette réuniion "transparence" et visionner la vidéo dont sont extraits ces photos. Voici quelques éléments d'explications supplémentaires.

Pourquoiune si mauvaise qualité ?  La qualité de la vidéo source, qui a été utilisée pour extraire les photos, laisse elle-même à désirer, d'abord à cause de la mauvaise lumière sous la grisaille parisienne du mois de mars. De plus, l'image bouge. "L'hélicoptère n'a pas décollé pour compter les manifestants, mais pour assurer une vision globale de la situation suite à des problèmes survenus à hauteur du Champ de Mars", a précisé Jean-Michel Avon. Ainsi, la Préfecture affirme qu'aucun de ses fonctionnaires n'est monté à bord de l'hélicoptère pour assister l'opérateur dans sa prise de vue. Au final, l'aéronef n'a effectué que très peu de vols stationnaires permettant de stabiliser l'image.

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© EUROPE1.FR/M.-A.B.

Sur la qualité des photos extraites de ce film, la démonstration de la préfecture est sans appel. Lorsque Jean-Michel Avon fait un arrêt sur image, celle-ci se trouble. Ainsi, en superposant les clichés "polémique avec un arrêt sur image à la minute près, on obtient bien la capture d'écran diffusée. Les clichés publiés par le service de communication de la Préfecture ont par la suite été altérés par la compression que demande une publication sur son site web, assure la Préfecture. Ce qui n'a fait qu'empirer les choses.

Des images ont-elle été utilisées dans le comptage ?  Non, assure-t-on du côté de la Préfecture pour qui la polémique, de fait, est vaine. "Non, ces images ne sont pas exploitables pour le comptage mais permettent d'établir un rapport de densité" de la population à certains endroits du cortège,  a pour sa part précisé Jean-Michel Avon.

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"Les manifestants sont comptés par nos équipes au sol, répartis dans plusieurs points hauts", a-t-il ajouté. Les points d'observations eux-mêmes sont cependant parfois équipés de caméras utilisées pour le "recomptage", comme lors de la manifestation de dimanche dernier.

 Des suites judiciaires possibles ?  Certes, rien ne prouve que la vidéo elle-même n'a pas été trafiquée. Mais le collectif de la Manif pour tous qui avait fait part dimanche de son intention d'assigner le préfet en référé afin d'obtenir la vidéo est revenu sur ses propos. Lundi, le collectif affirmait à Métro qu'il s'était vu proposer un visionnage par le préfet. Reste à savoir si leurs doutes persisteront. Auquel cas la justice pourrait être saisie afin qu'une véritable expertise soit opérée. Mais il semble que cette affaire tient bien plus à un défaut technique dans la  communication de la préfecture de police de Paris, peu adaptée aux outils du Web. Seule certitude, mardi, les députés ont définitivement adoptés le projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Par 331 voix contre 225.