"Made in France" : quand l’Etat est impuissant

© REUTERS
  • Copié
avec Sébastien Krebs , modifié à
ENQUETE - Une entreprise rentable va fermer à Alizay. Malgré l’intervention de l’Etat.

Le "fabriqué en France" est devenu un thème de campagne après avoir été remis au goût du jour par François Bayrou. Depuis, une bonne partie de la classe politique l’a repris à son compte, à l’image de Nicolas Sarkozy, en déplacement dans une usine de ski la semaine dernière. Mais l'Etat peut-il vraiment agir pour garder des usines en France ? Pas si sûr.

Les mésaventures de la papeterie M Real, à Alizay dans le département de l'Eure, illustrent l’impuissance des pouvoirs publics : sa fermeture est programmée, avec la disparition de 600 emplois à la clef, alors que les repreneurs se bousculent pour racheter l'usine et sauver les emplois. Mais rien n'y fait, le propriétaire finlandais refuse de vendre et préfère fermer boutique.

Une entreprise très convoitée

A Alizay, élus et habitants sont résignés : la papeterie M Real va très bientôt appartenir au passé. Pourtant, l'usine aurait pu être sauvée puisque 80 acheteurs potentiels se sont présentés, dont cinq jugés très sérieux.

Deux candidats à la reprise sont encore en lice, dont l’un est prêt à investir 180 millions d'euros. Il s'agit d'industriels solides, qui veulent redémarrer les machines, garder des salariés et pensent que l'usine peut redevenir rentable.

"L’un des repreneurs potentiels nous a envoyé sa simulation de financement pour l’année prochaine. Avec un mode de fonctionnement normal, comme aujourd’hui, il nous présente l’usine bénéficiaire de 8,7 millions d’euros l’année prochaine", précise Eric Lardeur, l'un des délégués syndicaux, avant d’insister : "ce site n’est pas mort du tout".

"On pouvait sauver ces emplois"

Si les repreneurs se bousculent pour racheter M Real, c’est parce que cette usine est ultra-moderne, équipée de machines dernier cri. Investisseur, spécialisé dans le rachat d'entreprises en difficulté, Gilles Rolland a ainsi engagé des discussions pour racheter l’entreprise. Le projet bien ficelé, un accord se précisait et l'usine était presque sauvée. Sauf que le propriétaire finlandais a changé d'avis. "A la mi-octobre, le vendeur a décidé de ne plus vendre ce site et refusé de finaliser la négociation", précise-t-il.

"C’est dommage, on pouvait sauver ces emplois", regrette Gilles Rolland :

Une entreprise victime d’une stratégie globale

Côté employés, on est persuadé que le groupe finlandais M Real n'a jamais eu l'intention de vendre afin d’éviter qu'un nouveau concurrent s'installe à Alizay. En effet, tout avait été prévu pour faciliter un rachat du site : le dossier est monté très haut puisque les repreneurs ont été reçus à l'Elysée.

Mais le patron finlandais a fait machine arrière au dernier moment.  "Il a insulté tout le monde : les pouvoirs publics, les politiques", se désole Thierry Filipeau, délégué CGT. "On avait rendez-vous avec le ministre de l’Agriculture à Paris. Monsieur Helander, président du groupe M Real, n’a même pas honoré le rendez-vous alors qu’il était chez ses avocats à 500 mètres", ajoute Thierry Filipeau, avant conclure, amer : "ils sont partis comme des voyous mais c’est normal, ce sont des patrons voyous".

Que le "fabriqué en France" ne soit pas qu’un slogan

Malgré l’activisme des élus locaux et même du gouvernement, ce sont 600 emplois qui vont disparaître dans une vallée déjà sinistrée, où trois autres usines sont aussi en train de fermer. Le maire du village d'Alizay, Gaetan Levitre, prend donc Nicolas Sarkozy au mot et lui demande de défendre dans les faits la production dans l’Hexagone.

"Comme le disait le président de la République, fabriquons en France", souligne le maire, avant d’ajouter : "l’occasion nous est donnée de fabriquer du papier en France, toutes les conditions sont réunies : le repreneur, la machine qui est performante, le savoir-faire des salariés. Et on s’en priverait du seul fait qu’un seul homme décide, à l’étranger, de fermer la société en France… C’est pas possible".

Seul et dernier recours possible, l'Etat peut exproprier le groupe finlandais pour confier l'usine à un repreneur. Mais cela n’est jamais arrivé, à Alizay on a donc déjà commencé les négociations du plan social.