Le "tueur aux mocassins" aux assises

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Marc-Anrtoine Bindler avec AFP
Est-il un caïd du trafic ou une victime ? Kodjo Ben Hodor est jugé à partir de vendredi aux assises de Seine-Saint-Denis pour un meurtre et un assassinat.

CRAVATE. Tué ou être tué. Telle est la question pour ce dandy du crime. Celui que les policiers ont surnommé le "tueur aux mocassins", de son véritable nom Kodjo Ben Hodor, est jugé à partir de vendredi aux assises de Seine-Saint-Denis pour un meurtre et un assassinat sur fond de trafic de drogue. Poursuivi pour le meurtre en 2009, à Saint-Ouen, et l'assassinat en 2011, à Pantin, de deux cousins, l'accusé, âgé de 34 ans, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Europe 1 vous présente un suspect qui aimait "la sape".

La naissance d'un mythe urbain. Le 8 juin 2011, une brigade anti-criminalité (BAC) de Pantin, surveille discrètement l'entrée de la cité des Pommiers, réputée pour être un carrefour du trafic local de cannabis. Les policiers observent alors un homme qui roule en scooter sur le trottoir. Jean griffé Armani, veste de costume, cravate et mocassins : ce scootériste aux allures de cadre sup', raconte Le Monde, rentrant du travail s'approche lentement d'une Clio aux vitres teintées.

 Mais soudain, l'élégant se dresse sur ses jambes et dégaine un pistolet automatique de calibre .45 et ouvre le feu sur le conducteur. Touché par trois balles, Sekou Timera, connu notamment pour usage et détention de stupéfiants, meurt sur le coup. Les policiers prennent alors en chasse le tireur et l'interpellent à la faveur d'une chute de son scooter. L'homme porte un gilet pare-balles sous sa chemise et donne d'abord une fausse identité. Il est finalement identifié grâce à ses empreintes digitales : le "tueur aux mocassins" s'appelle Kodjo Ben Hodor et il n'est pas inconnu de leurs services.

Une fusillade dans un haut lieu du trafic. Connu sous le nom de "costar" ou de "cravate" dans la cité des Francs-Moisins, à Saint-Denis, où il a grandi, l'homme au style toujours apprêté est en fait recherché depuis 2009. A l'époque, il est impliqué dans une fusillade qui a fait deux morts à Saint-Ouen, toujours sur fond de trafic de drogue.

 Le terrain de sport de la cité Arago, haut lieu du trafic aux portes de Paris, est le théâtre d'un règlement de comptes sanglant entre deux jeunes, trouvant son origine dans le "business" et le contrôle du quartier. Une explication entre deux trafiquants a mal tourné et les balles ont fusé.

Kodjo, qui accompagne ce jour-là l'un des protagonistes, a récupéré au sol l'arme de son ami touché et tiré plusieurs fois avant de prendre la fuite. Bilan de la fusillade : deux morts dont l'ami de Kodjo et un certain Moussa Bathily, le caïd local, dont le corps avait été retrouvé à côté d'un pistolet semi-automatique.

"Cravate"a-t-il devancé une vengeance… L'enquête va révéler que Moussa Bathily, mort dans le règlement  de comptes de 2009, et Sekou Timera, la victime de 2011, étaient en fait cousins. "Les deux événements sont liés et l'un trouve son origine dans l'autre", résume Joseph Cohen-Sabban, avocat de Kodjo Ben Hodor. Selon lui, son client se savait menacé depuis la mort de Bathily et subissait "une pression monstrueuse". "En 2009, c'était de la légitime défense. Puis, il a eu peur d'être tué, alors il a pris les devants", plaide-t-il.

Sekou Timera aurait formulé clairement sa menace de vengeance en téléphonant à Kodjo, pour lui assurer qu'"on l'aura". La suite est encore plus explicite : Kodjo échappe à deux tentatives d'assassinat.  Une pression dont fait état un psychologue : "c'est l'Irak. Tu ne sais pas son visage, tu ne sais pas s'il connaît le tien, s'il t'a vu ou s'il a vu une photo. Il va passer cinquante fois devant toi, il ne va rien se passer. La cinquante et unième…". La cinquante et unième, Kodjo aurait ainsi décidé de la devancer en allant abattre Sekou en 2011.

…Ou pris la main sur le trafic ? "Bathily et Timera n'étaient pas des enfants de choeur, mais pas des caïds non plus", assure pour sa part l'avocate de la famille de la victime de 2011, Gaëlle Dumont. Elle relève que Kodjo Ben Hodor a tué "avec un incroyable sang-froid" et se demande s'il n'avait pas  finalement "repris les affaires" de son ami tué à Saint-Ouen en 2009. "C'était un petit escroc mais dans les stups personne ne le connaissait", répond Me Cohen-Sabban, décrivant un homme "singulier", "qui riait tout le temps". 

Libéré à cause d'un vice de procédure. En raison d'une erreur de procédure à l'origine d'une vive polémique - la justice avait oublié de prolonger dans les délais légaux sa détention provisoire -, Kodjo Ben Hodor avait  été libéré pendant près d'un mois en 2012. "Au moment de sa libération, mes clients étaient choqués. Ils ont eu peur d'avoir un nouveau mort dans la famille", se souvient Me Dumont.

Il est finalement à nouveau interpellé dans une enquête pour tentative d'achat d'arme, un dossier pour lequel il a finalement été relaxé. Le parquet de Bobigny a cependant fait appel et "l'affaire sera étudiée le 3 juillet par la cour d'appel de Paris". Pour l'avocat de Kodjo Ben Hodor, cette tentative d'achat d'arme "était un montage pour le remettre en prison".

L'accusé se trouve actuellement en détention provisoire, mais dans le cadre du meurtre et de l'assassinat pour lesquels il va être jugé. Le procès doit durer jusqu'au 20 juin.