La "bible" des psys sous le feu des critiques

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Thomas Morel
POLEMIQUE - L'ouvrage américaine de référence de la psychiatrie est vivement critiqué en France.

Faire du deuil ou de la gourmandise un trouble psychiatrique : c'est ce que suggère la cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ou DSM), qui doit être publiée samedi par l'association américaine de psychiatrie. Une dérive contre laquelle de plus en plus de psychiatres français s'élèvent. Décryptage.

C'est quoi, le DSM ? Le DSM est l'ouvrage de référence pour les psychiatres dans le monde entier. Sur près d'un millier de pages, il recense quelques 400 maladies mentales. Enseigné dans les universités françaises, il est utilisé par les laboratoires pharmaceutiques pour concevoir les médicaments et sert de base à l'agence européenne du médicament pour délivrer des autorisations de mises sur le marché.

Pourquoi est-il critiqué ? Cet ouvrage, qui supplante même la classification de l'Organisation mondiale de la santé, fait depuis quelques années l'objet d'une campagne de critiques intensives dans le monde entier. C'est avant tout l'inflation des troubles recensées qui lui est reprochée. Comme l'explique à europe1.fr le professeur Patrick Landmann, psychiatre à Paris et président de l'association stop DSM, "la première version en comptait 80, le DSM 5 en recensera 400. Comment est-ce possible ?"

La "méthode DSM" en question. Bien sûr, en 30 ans, la recherche médicale à fait des progrès. Mais selon le professeur Landmann, la vraie raison est à chercher  ailleurs. "Pour une grande part, c'est lié à la 'méthode DSM' : on baisse les critères des troubles et on rend pathologiques tous les comportements qui s'écartent de la norme", regrette-t-il. Résultat, beaucoup d'individus dont les comportements diffèrent même légèrement de la norme peuvent être considérés comme atteints d'une maladie psychiatrique.

Un exemple : le deuil. Selon le DSM 5, si votre deuil dure plus de quinze jours, vous êtes potentiellement atteint d'un "épisode dépressif majeur". Le président de Stop DSM s'alarme : "Donner des antidépresseurs à des gens qui sont endeuillés depuis quinze jours, c'est catastrophique ! C'est un boulevard pour la prescription inutile et inefficace", redoute-t-il.

L'absence de critères subjectifs pour diagnostiquer. Le problème, c'est que la psychiatrie, contrairement aux autres domaines de la médecine, peut difficilement s'appuyer sur de simples critères objectifs. "Le DSM a été construit sur l'idée que, pour que tout le monde s'entende sur la définition des troubles psychiatriques, il fallait supprimer tout ce qui est subjectif", explique à Europe1.fr le professeur Michel Botbol, président de l'Association française de Psychiatrie. Résultat, l'ouvrage se contente d'observer les signes extérieurs de troubles pour déterminer les pathologies.

Au risque de voir des malades partout : "La dernière révision du DSM s'est notamment penchée sur l'autisme. Les psychiatres se sont mis à voir des syndromes d'Asperger (un trouble autistique, ndlr) partout. Le nombre de cas diagnostiqués a été multiplié par 200 !", raconte-t-il.

Quelle alternative ? Face à ces errements, la fronde s'est généralisée. "99 % des généralistes  et 90 % des psychiatres ne pourront pas faire la différence entre un épisode dépressif majeur et quelqu'un de normalement endeuillé. Le DSM est publié samedi, dès dimanche beaucoup de Français vont se réveiller avec un trouble mental", s'inquiète Patrick Landmann. Comme lui, des médecins allemands, britanniques ou encore sud-américains dénoncent l'hégémonie de l'ouvrage américain. "Le problème, c'est qu'il n'y a pas vraiment d'alternative", regrette Michel Botbol. "La classification mondiale de l'OMS, l'autre référence, s'appuie principalement sur les conclusions d'études menées dans le cadre du DSM, et en arrive donc aux mêmes conclusions…"