Kerviel : le "témoin mystère" sort de l'ombre

Un employé d'une filiale de la SocGen qui est sorti de l'anonymat dédouanne l'ancien trader Jérôme Kerviel.
Un employé d'une filiale de la SocGen qui est sorti de l'anonymat dédouanne l'ancien trader Jérôme Kerviel. © Reuters
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Un employé d'une filiale de la SocGen qui est sorti de l'anonymat dédouane l'ancien trader.

Longtemps il s'est tu. Mais face aux accusations de la Société Générale, Philippe Houbé a décidé de sortir du silence pour tenter de décharger Jérôme Kerviel. Cet employé d'une filiale de la Société Générale, chargé de gérer le back-office, doit témoigner jeudi au procès en appel de l'ex-trader qui se tient jusqu'au 28 juin. Dans une interview à Libération parue mercredi, il assure que la Société générale a alourdi les pertes imputées à Jérôme Kerviel.

"Il a vu des choses qu'il ne veut pas garder pour lui"

Jusqu'à lundi, il était le "témoin mystère", sorti miraculeusement de la manche de Maître Koubbi, le nouvel avocat de Jérôme Kerviel. En fait, c'est Philippe Houbé lui-même qui a contacté le conseil du trader. Et même s'il sait que son témoignage peut lui coûter son poste, "il a vu des choses qu'il ne veut pas garder pour lui", écrit Libé.

Employé depuis presque vingt ans de Fimat, une société de courtage filiale de la SocGen "qui sert de courroie de transmission entre [la banque] et mes différentes Bourses", Philippe Houbé était chargé du back-office des opérations passées par les traders de la banque - dont Jérôme Kerviel. Il avait donc accès à toutes les informations du compte SF581, celui de Kerviel.

Des combines pour couvrir Kerviel

"A cette époque, il régnait une énorme tension au sein de Fimat à cause de Kerviel", se souvient Philippe Houbé. En cause, les ordres passés par le trader dont le montant s'élève à plusieurs dizaines de milliards d'euros et qui obligent le "middle-office" (les opérateurs chargés de saisir toutes les transactions effectuées par les traders et de chiffrer leurs gains et leurs pertes, ndlr) à monter des combines pour les valider. "Bakir (le courtier de Kerviel chez Fimat, ndlr) mettait sur son compte erreur une partie des ordres, ce qui obligeait à tout taper à la main le lendemain", explique Philippe Houbé.

Pour autant, le direction de Fimat laisse faire. "Je suis sûr que les managers de Fimat ont décidé de fermer les yeux", assure Philippe Houbé. Selon lui, son patron, ancien trader, savait que Kerviel avait fait gagner 1,5 milliard d'euros à la SocGen grâce à ses opérations. Or à l'époque, explique Libé, Fimat, qui est en négociations pour fusionner avec Calyon (son équivalent au Crédit Agricole, ndlr), a tout intérêt à gonfler son chiffre d'affaires.

Kerviel pas entièrement responsable des pertes

Pendant l'enquête, la police interroge plusieurs employés de Fimat, mais pas Philippe Houbé, qui se tait. A l'approche du procès en appel, il décide de se replonger dans les opérations du compte SF581. Il découvre alors que la perte de 4,9 milliards d'euros reprochée à Kerviel (le 21 janvier 2008, la banque avait commencé à vendre en urgence et à perte les positions prises par le trader, ndlr) ne peut pas lui être imputée en totalité.

D'après ses observations, "le compte SF581 est resté quasi inchangé le lundi 21 janvier, comme si le débouclage n'avait pas commencé", indique Libération. En fait, c'est un autre compte, le SF615, qui prend des positions inverses à celles de Kerviel pour les annuler. Le journal note que, jusqu'à présent, la SocGen n'avait pas parlé de ce compte.

Au même moment, un autre compte prenait des positions inhabituelles sur le Dax (l'indice de la Bourse de Francfort, ndlr), qui ont permis à la SocGen d'empocher des bénéfices plusieurs mois plus tard. Mais ces gains n'ont pas été retranchés de la perte imputée à Jérôme Kerviel, note Libération.

La SocGen a "chargé Kerviel au maximum"

Philippe Houbé assure également que plusieurs autres comptes, donc d'autres traders, ont transféré sur le SF581 leurs mauvaises positions pour "détériorer son résultat". "Ils ont regroupé toutes les positions perdantes du desk et l'ont chargé au maximum", dénonce-t-il. Selon l'opérateur, les montants s'élèveraient à "au moins un milliard" d'euros.

Pour la Société Générale, ce témoignage est "sans intérêt". Avant l'annonce de l'identité du témoin, Me Veil, l'avocat de la banque, avait promis de "démolir chacun des arguments", selon Le Figaro. D'après le quotidien, "les équipes de la banque ont également travaillé tout le week-end pour analyser, ligne à ligne, les centaines de pages de relevés". Le rendez-vous est donc pris pour la confrontation, jeudi, à la barre.