Jurés populaires : ce qui ne marche pas

Le bilan de l'expérimentation des jurés populaires menée à Toulouse et Dijon est très critique
Le bilan de l'expérimentation des jurés populaires menée à Toulouse et Dijon est très critique © MAXPPP
  • Copié
avec Pierre de Cossette et AFP , modifié à
Deux magistrats dressent un bilan très critique de l'expérimentation menée à Toulouse et Dijon.

L'info. Un dispositif "extrêmement lourd" et "coûteux" qui n'est "pas adapté" pour rapprocher les citoyens de la justice. Voilà le bilan dressé par Didier Boccon-Gibod, premier avocat général, et Xavier Salvat, avocat général à la Cour de cassation, de l'expérimentation des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels des cours d'appel de Toulouse et Dijon. Christiane Taubira, la ministre de la Justice, devrait annoncer dans les prochains jours la suite qu'elle donnera à cette initiative voulue par Nicolas Sarkozy.

Un système "lourd". La réforme a introduit deux "citoyens assesseurs" aux côtés de trois magistrats, en première instance et en appel, pour le jugement de certains délits passibles d'au moins cinq ans de prison. Mais pour les deux magistrats chargés de l'évaluation, ce système pose de "très nombreuses difficultés", comme  le "lourd processus de sélection annuelle" de ces citoyens assesseurs, leur gestion au quotidien, mais aussi l'augmentation de la durée des audiences auxquelles ils participent et leur coût.

Avec seulement trois affaires jugées, en moyenne, lors des audiences "citoyennes" contre 12 à 20 dans une audience classique, cette "réforme qui était censée rapprocher les citoyens de la justice en éloigne d'autres, prévenus et victimes, dont les affaires sont retardées", estime Didier Boccon-Gibod.

Des assesseurs pas assez formés. Le principal problème soulevé dans le rapport est le manque de compétence des citoyens assesseurs. "On peut très nettement douter que les citoyens assesseurs, appelés à siéger le temps de quelques audiences, complètement dépendants des magistrats professionnels pour la partie technique de la procédure, soient véritablement libres du choix de leurs décisions", écrivent Didier Boccon-Gibod et Xavier Salvat.  Après une formation d'une journée, "ils ne sont pas armés techniquement pour traiter les questions juridiques soumises aux juridictions", poursuivent-ils.

Et la sévérité ? "Aucun élément ne permet de penser que les décisions rendues sont plus sévères", écrivent les deux magistrats dans leur rapport. Ainsi, l'objectif "plus ou moins avoué d'une aggravation des sanctions pénales a été clairement manqué". D'autant que ces assesseurs, pas habitués à juger leurs concitoyens, ont souvent tendance à s’identifier aux prévenus et ont des scrupules à les condamner. "Certains, voyant que les prévenus qui comparaissaient devant eux, avaient perdu leur emploi, avaient été abandonnés par leur épouse, nous ont dit 'ça aurait pu être moi'. On est dans l'humain. On voit une personne qui a peut-être commis des faits répréhensibles mais dont on apprend qu'elle a une vie chaotique et les assesseurs en tiennent comte", détaille Didier Boccon-Gibod sur Europe 1.

Du pour, du contre et au final ? Pour les magistrats rencontrés par les deux auditeurs, le maintien d'une "aussi lourde organisation" pour "un résultat qui se résume en définitive à l'amélioration de l'image de la justice auprès des quelques citoyens assesseurs qui découvrent la réalité de l'activité juridictionnelle" ne vaut pas le coup. Le bénéfice de la réforme reste "strictement limité au cercle étroit des citoyens assesseurs eux-mêmes", affirme le rapport.

Le rapport n'est toutefois pas totalement négatif. Les deux magistrats de la Cour de cassation notent la satisfaction des citoyens assesseurs d'avoir participé à l'oeuvre de justice, qui repartent avec une plus haute estime des magistrats. Ils y voient "un encouragement à chercher par quels moyens, moins lourds pour les juridictions, pourrait être obtenu un résultat semblable".

>> Mise à jour, vendredi à 13 heures : Pour Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats, interrogé sur Europe 1, "ce système va devoir être abandonné". "Au moment du vote de la loi, on avait alerté les parlementaires en disant que ça serait coûteux, que ça désorganiserait les juridictions et qu'il n'y aurait pas vraiment d'effet réel sur les peines. Cette réforme va devoir être abrogée rapidement parce que, outre sur le fond c'est problématique car juger c'est un métier, on n'a pas du tout les moyens de continuer avec ça", a-t-il estimé. "Même si les assesseurs citoyens sont des gens honnêtes et ont un intérêt pour le métier, ils ne peuvent pas acquérir les connaissances techniques et juridiques en une journée", a ajouté le magistrat.