"Il peut y avoir une autre affaire Tony Meilhon"

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C.B et Pierre de Cossette , modifié à
DECRYPTAGE - Le récidiviste est jugé mercredi. Comment sont suivis les anciens détenus ?

Il avait lancé une vive polémique sur la récidive et le suivi des anciens détenus. Tony Meilhon est jugé à partir de mercredi pour avoir enlevé, tué, puis démembré Laëtitia Perrais, jeune fille de 18 ans, en janvier 2011. A l'époque, Nicolas Sarkozy s'en était vivement pris au monde de la justice, dénonçant des négligences dans le suivi des personnes déjà condamnées. Qu'en est-il deux ans après ? Un deuxième Tony Meilhon est-il possible ?

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"Je ne voulais pas m'évader". Dans les bureaux du Tribunal de Bobigny, on compte neuf juges d'application des peines (JAP). Ces derniers sont chargés d'aménager toutes les condamnations du département et de surveiller les anciens détenus placés sous contrôle judiciaire. Après s'être soustrait à un contrôle où il devait se faire poser un bracelet électronique, un jeune homme condamné à un an de prison pour trafic de stupéfiants a donc été convoqué mardi au bureau des JAP.

"Ce n'est pas que je ne voulais pas mettre mon bracelet électronique, ou que je voulais m'évader, j'attendais que ceux qui posent le bracelet viennent me téléphoner. Ce n'est vraiment pas intentionnel de ne pas y être allé", déclare-t-il à une juge d'application des peines. Il se trouve en effet que le jeune homme ignorait qu'il devait se rendre de lui-même au Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Seine-Saint-Denis, pour que des agents lui posent son bracelet électronique.

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1.300 dossiers par juge. Convaincue de la bonne foi du jeune homme, la magistrate ne prévoit aucune sanction. Mais pour elle, c'est une demi-heure de perdue. Et les bracelets électroniques en Seine-Saint-Denis, il y en a 400. Avec les alertes qui se déclenchent, les condamnés qui rentrent chez eux trop tard et qu'il faut faire rechercher par la police, les juges d'application des peines ne manquent pas de travail. Et il n'y a pas que les bracelets électroniques. L'éventail des peines est en effet beaucoup plus large, il y a évidemment la prison, mais aussi les travaux d'intérêt généraux ou les sursis avec mise à l'épreuve. Au total les juges d'application des peines sont en charge de 1.300 dossiers chacun.

Affaire Laëtitia : "Bien sûr qu'il peut y avoir...par Europe1fr

Alors malgré les renforts de deux magistrats, impossible de tout maîtriser, explique Aida Chouk. "Je peux vous dire que l'on n'est jamais à jour. C'est exactement comme vider la mer avec une petite cuillère. On a une telle masse à traiter, puisque l'ensemble des condamnations et des mesures suivies sont toujours en augmentation, qu'on travaille toujours avec la crainte d'avoir loupé quelque chose. Même si on a eu un renfort en plus, je crois que cette crainte existe chez tous les juges d'application des peines", commente-t-elle au micro d'Europe 1.

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Des manques d'effectifs dans d'autres services. Mais les juges d'application des peines ne sont pas les seuls à gérer le suivi judiciaire. Il y a aussi le parquet, les greffiers, eux aussi en sous-effectif. Et puis, pour le suivi sur le terrain, les services du tribunal ne sont plus concernés, la tâche revient aux membres du SPIP. Ce sont eux qui avaient été particulièrement visés dans l'affaire Laetitia il y a 2 ans.

Ce sont généralement des travailleurs sociaux, en relation par exemple avec les associations. Ces derniers regrettent de faire trop de discipline et manquent de temps pour signaler au tribunal qu'un condamné a manqué un rendez-vous. Leurs effectifs sont eux aussi trop faibles. Au SPIP de Pantin par exemple, chaque conseiller gère 130 condamnés. Il manque 20 postes selon Fabienne Titet, de la CGT.

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Le risque zéro n'existe pas. "Bien sûr qu'il peut y avoir une deuxième affaire Tony Meilhon et que le risque zéro n'existe pas. Il faudrait un conseiller d'insertion et de probation par personne et déjà s'il pouvait y en avoir un par 80 personnes ce serait déjà bien. Depuis quelque temps, on sent bien qu'on travaille avec la contrainte de se couvrir, c'est-à-dire être bien sûr qu'il n'y a pas un dossier qui reste dans un coin, faire bien attention qu'on convoque, vérifier même les casiers judiciaires de A à Z pour être sûr de ne pas passer à côté du petit détail alors que, concrètement, on n'a pas le temps de le faire.

Pour ces professionnels, il y a donc un avant et un après Tony Meilhon : cette peur d'être mis en cause. Mais aussi un sentiment d'impuissance alimenté par un manque de moyens et  la conviction que le risque zéro n'existe pas.