Des militaires français jugés pour meurtre

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avec agences , modifié à
Opérant dans le cadre de la force Licorne, les quatre militaires sont accusés d'avoir tué un Ivoirien.

Depuis la guerre d'Algérie, c'est la première fois que "la Grande Muette" doit faire face à des accusations aussi graves. A partir de mardi, quatre anciens militaires français, dont un colonel,  qui opéraient tous en Côte d'Ivoire au sein de la force Licorne  en 2005, sont jugés jusqu'au 7 décembre devant la cour d'assises de Paris pour le meurtre de Firmin Mahé, un Ivoirien de 29 ans, présumé bandit de grand chemin. Un procès sans précédent, dans une affaire mettant au jour des rivalités et inimitiés entre généraux  et officiers opérant à l'époque en Côte d'Ivoire.

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• Un contexte tendu. Nous sommes en mai 2005. La Côte d'Ivoire est coupée en deux par une guerre civile entre le Nord et le Sud. Les forces françaises du dispositif Licorne opèrent sous mandat de l'ONU  dans une zone tampon dite "de confiance" séparant les belligérants.

Elles doivent faire face aux exactions des différentes milices et aux "coupeurs de routes" qui attaquent les voyageurs et terrorisent les populations de la zone.  Six mois plus tôt, le camp de la Licorne à Bouaké, dans le centre du pays, a été bombardé lui-même par les forces loyalistes, tuant neuf soldats français.

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• Les faits.  Le 13 mai 2005, Firmin Mahé, soupçonné d'être un "coupeur de route" particulièrement brutal,  est interpellé au terme d'un accrochage avec des militaires français. L'arrestation est musclée et l'homme est blessé par balles aux jambes. D'abord transporté jusqu'à une infirmerie militaire, il est en suite transféré vers l'hôpital de la ville de Man sur ordre du général Henri Poncet, alors commandant de la force Licorne.

C'est sur la route, dans un blindé de l'armée française, que Firmin Mahé meurt étouffé dans un sac plastique fixé sur sa tête avec du ruban adhésif. Des faits qui sont d'abord tus par la hiérarchie sur place puis dénoncés par d'autres militaires, poussant ainsi l'Etat Major à saisir la justice.  

• Les accusés.  Ils sont quatre. Tous ont depuis quitté l'armée. Le colonel Eric Burgaud, 50 ans, qui aurait donné l'ordre implicite de mise à mort, et les trois militaires présents dans le blindé : l'adjudant-chef Guy Raugel, 48 ans, qui a reconnu avoir étouffé Mahé, le brigadier-chef Johannes Schnier, 35 ans, qui le maintenait, et le brigadier Lianrifou Ben Youssouf, 32 ans, qui conduisait le véhicule.

Le colonel Burgaud, militaire jusque là exemplaire, est également accusé d'avoir dissimulé l'épisode par des comptes-rendus inexacts prétendant que Mahé a été tué en légitime défense. Eric Burgaud "va reconnaître avoir transmis l'ordre implicite que Mahé arrive mort", précise Me Gublin, en déplorant que le général Poncet "n'ait pas eu le courage de prendre ses responsabilités".

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• La chaîne de commandement en question ? Au début de l'enquête, le général Poncet, commandant de la force Licorne, avait été mis en examen pour complicité d'homicide volontaire.  Le colonel Burgaud avait affirmé avoir reçu de son supérieur hiérarchique "un ordre pas clair dont l'interprétation était très claire", explique son avocat, Alexis Gublin. "'Roulez doucement, vous me comprenez (...)'. Cela signifiait que la solution idéale était qu'il décède en route", avait déclaré le colonel durant l'enquête.

Mais le général Poncet a démenti avoir donné un tel ordre et a bénéficié d'un non-lieu.  Il sera entendu parmi la trentaine de témoins attendu au procès, dont l'ancienne ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie.

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"Dans cette affaire, tout est exceptionnel"

Pour Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialiste des questions militaires à Marianne, "c'est une grosse affaire car il n'y a pas de précédents depuis la guerre d'Algérie". "Tout est exceptionnel dans cette histoire," estime-t-il, interrogé par Europe1.fr.

"Rien ne dit que l'on n'a pas caché d'autres affaires, mais cela prouve que l'on ne peut pas cacher la vérité",poursuit-il en rappelant que les faits "ont choqué beaucoup de militaires sur place et ce sont des militaires qui ont fait éclater l'affaire".  "Si les garde-fous n'ont pas fonctionné sur le terrain, les faits sont remontés à Paris dès septembre et l'affaire a éclaté en octobre", précise-t-il estimant que "cela prouve que l'état de droit fonctionne".