Ce qu'on reproche à Jérôme Cahuzac

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Frédéric Frangeul , modifié à
DECRYPTAGE - Jérôme Cahuzac, qui est passé aux aveux, a été mis en examen mardi.

Plus de trois mois après les révélations du site Mediapart, Jérôme Cahuzac est passé aux aveux. L'ancien ministre du Budget a déclaré dans un message posté sur son blog avoir eu un compte à l'étranger "depuis 20 ans". Le 19 mars dernier, Jérôme Cahuzac avait été contraint de démissionner à la suite de l'annonce de l’ouverture d'une information judiciaire. Les deux juges en charge du dossier l'ont mis en examen mardi pour "blanchiment de fraude fiscale" et "perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale". Ce qui signifie ?

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Sur quoi porte l’enquête ? Dans l’affaire Jérôme Cahuzac, l’ex-ministre est soupçonné d’avoir détenu à l’étranger un compte bancaire non déclaré. Un enregistrement révélé par le site Mediapart et authentifié par une expertise de la police scientifique, dans lequel Jérôme Cahuzac reconnaît avoir détenu un compte dans la banque suisse UBS, a fait éclater l’affaire en décembre dernier. Le compte bancaire en question, toujours selon le site d’investigation, aurait été fermé en 2010 pour être transféré à Singapour.

Le blanchiment de fonds en question ? Mardi, les juges d'instruction ont mis en examen Jérôme Cahuzac pour "blanchiment de fraude fiscale" et "blanchiment de fonds provenant de la perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale". En clair, les enquêteurs se penchent sur les avantages qu'aurait perçus Jérôme Cahuzac de la part de laboratoires pharmaceutiques.

Après avoir quitté ses fonctions de conseiller au ministère de Claude Evin en 1993, il a en effet ouvert une société de conseil de laboratoires pharmaceutiques. Pendant près de 10 ans, sa société nommée Cahuzac Conseil a engendré plusieurs millions d'euros, dont une partie aurait été reversée sur des comptes occultes, révèle Le Canard Enchaîné de mercredi. L'argent engendrée par son travail de consultant pour l'industrie pharmaceutique "représente 3/4 des sommes qui ont transité sur les comptes occultes. Le dernier quart, se sont vraisemblablement des émoluments non-déclarés de la clinique qu'il avait avec sa femme", a commenté le journaliste Hervé Martin au micro d'Europe 1.

Mais les enquêteurs vont également tenter de savoir si Jérôme Cahuzac n'a pas ouvert son compte alors qu'il était conseiller du ministre de la santé, Claude Evin. Entre 1988 et 1991, il s'occupait en effet de la politique du médicament. "La question est donc aujourd’hui ouvertement posée : des labos pharmaceutiques ont-ils monnayé à cette période certaines faveurs ministérielles via Jérôme Cahuzac ? En d’autres termes, M. Cahuzac a-t-il menti pour lui-même ou pour d’autres ?", s'interroge Mediapart.

Qu’est-ce qui caractérise le "blanchiment de fraude fiscale" ? Concrètement, "le blanchiment de fraude fiscale" consiste à réinjecter dans le circuit économique de l’argent dissimulé aux services fiscaux.  "Ouvrir un compte non déclaré à l’étranger pour y placer de l’argent provenant de fraude fiscale, avant  de s’en servir pour acheter des biens est caractéristique du blanchiment de fraude fiscale", résume l’avocat fiscaliste Me Marc Bornhauser, interrogé par Europe1.fr.

Bercy Budget Impôts

Pourquoi pas une enquête pour "fraude fiscale" ?  Pour qu’il y ait "blanchiment de fraude fiscale", il faut au préalable qu’il y ait fraude fiscale. "Or, en France, c’est la commission des infractions fiscales, placées sous la tutelle du ministère du Budget, qui décide d’engager ou non des poursuites lors de soupçons de fraudes fiscales", observe l’avocat fiscaliste Me Jean Hamet. Jérôme Cahuzac étant ministre du Budget, ladite commission risquait de se trouver en posture délicate. En optant pour le chef de "blanchiment de fraude fiscale", le parquet a pu vouloir éviter cet écueil et garder les mains libres pour enquêter à sa guise.

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Que risque Jérôme Cahuzac ? L’article 324-1 du Code pénal prévoit des peines de 375.000 euros d’amende et jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour des faits de blanchiment de fraude fiscale. C’est moins que pour la fraude fiscale en tant que telle, qui elle, peut valoir à son auteur jusqu’à sept ans de prison et un million d’euros d’amende.

Et la prescription dans tout ça ? Dans le cas d’une suspicion de fraude fiscale, le délai de prescription est généralement de trois ans. Ce qui laisser planer la possibilité d’une éventuelle prescription des faits dans l’affaire Cahuzac. "Concernant les faits de blanchiment de fraude fiscale, le délai de prescription, qui s’élève lui aussi à trois ans, ne démarre qu’au moment de la découverte des faits", souligne Me Marc Bornhauser. L’ouverture d’une information judiciaire sur cette dénomination permet donc à la justice d’éviter toute annulation des poursuites pour cette raison. Par ailleurs, Jérôme Cahuzac a reconnu sur son blog détenir un compte en Suisse avec 600.000 euros dessus, mais qui "n'a pas été abondé depuis une douzaine d'années". Les faits ne sont donc pas prescrits.