Abdelhakim Dekhar, un homme secret, "givré" et dangereux

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Rémi Duchemin, avec Alain Acco et AFP , modifié à
PORTRAIT - Le tireur présumé de Libération, impliqué dans l’affaire Rey-Maupin, fréquentait l’ultra-gauche dans les années 1990.

Le tireur présumé de Libération, arrêté mercredi soir, est loin d’être un inconnu. Abdelhakim Dekhar, 48 ans, avait en effet été impliqué dans l’affaire Rey-Maupin, cette fusillade d’octobre 1994 qui avait coûté la vie à cinq personnes place de la Nation, à Paris. Il était alors un membre identifié de "l’ultra-gauche" française, qu'il affirmait avoir eu pour mission d'infiltrer, à la demande des services secrets algériens. Une explication qui n’avait convaincu personne, et qui avait surtout dessiné la personnalité d’un homme "énigmatique, étrange", selon son avocate de l’époque, Me Emmanuelle Hauser-Phélizon.

"Complètement déjanté". Patricia Tourancheau, qui à l’époque avait suivi l’affaire Rey-Maupin pour Libération, se souvient "d’un mec complètement déjanté, qui était moitié mytho, par ailleurs. Il était extrêmement confus", témoigne la journaliste, interrogée par Europe 1. "De le retrouver aujourd’hui, c’est à la fois hallucinant et en même temps ce n’est pas tellement étonnant. Il est suffisamment givré pour vouloir s’attaquer à des journaux comme Libération ou des télés comme BFM, pour tirer contre une banque", assure-t-elle. "Je n'ai jamais très bien su qui il était. Je n’ai jamais pu cerner le personnage. Il pouvait être très agressif, il pouvait s’énerver, mais je n’ai jamais mis ça sur le compte d’une violence personnelle", abonde de son côté Me Emmanuelle Hauser-Phélizon, l’une de ses avocates.

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"Toumi", dans les années 1990. C’est au début des années 1990 que la police apprend l’existence d’Abdelhakim Dekhar. A l’époque, arborant des cheveux courts et des lunettes à la Malcom X, il se fait appeler "Toumi" et est un habitué des squats fréquentés par la gauche radicale, souvent sous étroite surveillance policière. C’est dans ce milieu qu’il rencontre Audry Maupin et Florence Rey. Selon des témoins de l’époque, il devient le chaperon et le mentor des deux jeunes. Certains l’accusent d'avoir mis à profit leur jeunesse et leur exaltation pour les manipuler.

"Le troisième homme?" Quand éclate la fusillade d’octobre 1994, au cours de laquelle trois policiers, un chauffeur de taxi et Audry Maupin trouvent la mort, Abdelhakim Dekhar est rapidement soupçonné d’être le troisième homme de cette affaire. C'est lui qui avait acheté dans un grand magasin parisien, La Samaritaine, sous son vrai nom et avec sa pièce d'identité, le fusil à pompe qui avait servi à Florence Rey et Audry Maupin pour attaquer la pré-fourrière de Pantin, prélude à l’épopée meurtrière du couple. Lors du procès, en 1998, il est finalement blanchi de l'accusation d'attaque à main armée, mais condamné à quatre ans de prison pour "association de malfaiteurs". Cette peine correspondant exactement au temps passé en détention préventive, il est libéré immédiatement après le procès, alors qu'il est âgé de 33 ans.

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Un faux agent secret. Pour sa défense, Abdelhakim Dekhar avait vainement tenté de persuader la cour qu'il était en fait un espion, un agent en mission de la Sûreté militaire algérienne, chargé d'infiltrer les milieux autonomes pour en débusquer d'éventuels intégristes. Son autre avocat de l'époque, Me Raphaël Constant, se souvient qu'il "disait avoir été piloté par son oncle, responsable des services secrets algériens". "Il prétendait avoir reçu pour mission d'infiltrer l'ultra-gauche qui aurait eu des accointances avec les islamistes et le GIA algérien", ajoute-t-il.

Discret pendant 19 ans. Depuis sa libération en 1998, Abdelhakim Dekhar n’avait plus jamais fait parler de lui et n’avait par exemple plus donné aucune nouvelle à ses avocats. Selon les premiers éléments de l'enquête il aurait quitté la France. "Une fois, j’ai dû avoir de ses nouvelles, mais pas par lui, par quelqu’un qui l’avait rencontré, un journaliste", assure Me Emmanuelle Hauser-Phélizon. "Il était en Angleterre et il ne cessait de jouer à l’agent double, donnait des rendez-vous, n’y allait pas. Il essayait de faire croire qu’il appartenait encore à des services, qu’il était soupçonneux. Et le journaliste avait beaucoup de mal à mettre la main dessus", se souvient l’avocate. Selon Manuel Valls, Abdelhakim Dekhar était effectivement "probablement parti à l'étranger" depuis plusieurs années. Avant de revenir.

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