Une loi à l’origine de notre dette ?

Des politiques réclament le retour de la planche à billets
Des politiques réclament le retour de la planche à billets
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Jean-Louis Dell'oro , modifié à
Plusieurs hommes politiques dénoncent une loi vieille de plus de 30 ans. 

Alors que l’élection présidentielle se profile à l’horizon, chaque candidat y va de son analyse économique sur les raisons de l’endettement de la France. Une loi en particulier est pointée du doigt par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan : celle qui empêche l’Etat depuis 1973 d’emprunter à la Banque de France. Pour certains hommes politiques, elle serait à l'origine de l'explosion de la dette en France. Europe1.fr fait le point pour démêler le vrai du faux.

De quelle loi parle-t-on ? Il s’agit de la loi dite Pompidou-Giscard votée en 1973 sous l'impulsion du ministre de l'Economie de l'époque : Valéry Giscard d'Estaing. Elle modifie les statuts de la Banque de France, notre ancienne banque centrale.

Que prévoit cette loi ? "Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France". En clair, la Banque de France ne peut plus faire crédit à l'Etat, elle n'a plus le droit de le financer. Jusque là, l'Etat avait le droit d'emprunter à des taux d'intérêt très faibles voire nuls auprès de la Banque de France. Désormais, il ne lui reste plus que deux options : se tourner directement vers les particuliers ou vers les banques privées.

Que reprochent à ce texte ses opposants ? La gestion de la création monétaire serait laissée aux mains des banques privées, celles-ci "créant" de la monnaie en émettant du crédit. En d'autres termes, l'Etat ne peut plus faire tourner la planche à billets par lui-même pour combler ses déficits, ce qu'on appelle aussi "monétiser sa dette". Du coup, les banques privées pourraient imposer à l'Etat les taux d'intérêt qu'elles souhaitent. La loi Pompidou-Giscard serait ainsi à l'origine de l'explosion des déficits.

"La loi de 1973 a obligé la France à emprunter sur les marchés financiers internationaux, avec des taux d'intérêt importants", dénonçait ainsi Marine Le Pen sur le plateau de l'émission A vous de juger.

Quels sont leurs arguments ? Le problème de l'endettement de la France ne serait pas tant ce que le pays emprunte mais les taux auxquels il le fait. Le service de la dette (autrement dit les intérêts à payer) étoufferait l'Etat.  

Dans leur livre intitulé La dette publique, une affaire rentable : A qui profite le système ?, André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder précisent que de 1979 à 2009, la dette publique au sens de Maastricht est passée de 240 à 1492 milliards d'euros. La dette représentait ainsi 78% du PIB en 2009, contre 21% en 1979. Sur cette période, les deux auteurs ont calculé que la France a payé l'équivalent de 1340 milliards d'euros en intérêts. Monétiser la dette permettrait ainsi selon eux de réduire à néant ou presque les intérêts dus à l'avenir.

Pourquoi cette loi avait-elle été adoptée ? "La possibilité du prêt direct de la Banque de France au Trésor public a généré partout où il fut appliqué une situation d'inflation monétaire permanente", se défend Valéry-Giscard d'Estaing sur son blog. La loi de 1973 a justement été votée pour encourager une gestion saine des deniers publics. Il s'agissait d'éviter que les gouvernements ne soient tentés de financer leur endettement par l'inflation, c'est-à-dire en remboursant avec de l'argent qui a moins de valeur (qui permet d'acheter moins de biens).

Cette loi a-t-elle contribué à notre endettement ? Non, pas en tant que telle. La gestion du budget français a été rigoureuse jusqu'à la fin des années 70 avec cette loi, malgré les deux chocs pétroliers. Il ne faut pas oublier que le recours à la Banque de France pour se financer n'avait rien de systématique auparavant.

L'explosion de la dette française coïncide en revanche avec les dérégulations des années 1980 qui ont permis à l'Etat d'accéder massivement aux marchés financiers internationaux.

Les comparaisons avec d'autres pays sont également intéressantes. Les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni ont par exemple la possibilité de monétiser leurs dettes, ce dont ils ne se privent pas. Pourtant, à part pour le Royaume-Uni depuis la crise, leur niveau d'inflation est sensiblement le même qu'en France. Et l'Hexagone, où la dette représente 86,2% du PIB au deuxième trimestre 2011, n'a rien à envier à leur endettement public : près de 80% du PIB au Royaume-Uni, environ 100% aux Etats-Unis et plus de 200% au Japon. La nature de la dette et la répartition géographique de ceux qui la détiennent varient par ailleurs beaucoup d'un pays à l'autre.

Inversement, comment expliquer que d'autres pays comme la Norvège, qui comme la France ne peut pas faire marcher la planche à billets, est moitié moins endettée (sa dette publique plafonne à 44% du PIB) ?

Cela signifie que la monétisation de la dette n'est pas nécessairement synonyme de réduction des déficits publics ni de poussée inflationniste incontrôlée.

La France ne peut-elle pas encore monétiser sa dette ? En principe non mais dans la pratique si. Le Traité européen interdit à la Banque centrale européenne de prêter directement aux Etats membres de la zone euro.

Mais lorsque la Banque centrale européenne rachète des obligations souveraines (parts de dettes émises par les Etats), elle monétise la dette des Etats. La BCE en a ainsi déjà acquis pour 183 milliards d'euros. Elle pourrait ainsi un jour être amenée à racheter de la dette française.

Quelle est la solution ? "Il n'y a pas de solution miracle", tranche, interrogé par Europe1.fr, Jean-Hervé Lorenzy, président du Cercle des économistes. "La vérité n'est ni d'un côté, ni de l'autre. D'un côté, vous n'avez pas de moyens. De l'autre, vous n'avez aucune limite", poursuit-il.

D'après lui, le bon compromis serait d'avoir "une vraie règle d'or en période de croissance, tout en autorisant la BCE à racheter de la dette".