Eurobonds : Hollande cèdera-t-il ?

François Hollande est favorable aux eurobonds, Angela Merkel y est résolumment opposée.
François Hollande est favorable aux eurobonds, Angela Merkel y est résolumment opposée. © Reuters
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Le candidat PS accusait le président Sarkozy de les avoir abandonnés face aux Allemands. Et maintenant? Décryptage.

Tabous pour Berlin, souhaités par Paris, les eurobonds font l'objet de toutes les attentions européennes depuis quelques jours. La question de la création d'obligations émises par l'ensemble des pays de la Zone euro sera évoquée dès le sommet de Bruxelles de mercredi soir, entre les dirigeants du vieux continent. "Le sujet sera mis sur la table", avait confirmé François Hollande, à l'issu du sommet  de l'Otan. Le hic : l'Allemagne y est encore et toujours résolument opposée. Angela Merkel a adressé à Paris un "niet" franc et sans concessions envisageables. Un compromis est-il possible ? Europe1.fr fait le point.  

Pourquoi l'Allemagne est contre? Pour Berlin, les eurobonds entraîneraient l'augmentation des taux d'intérêt des pays aujourd'hui les plus compétitifs, en tête desquels l'Allemagne. Et ils pousseraient les pays les moins vertueux à encore plus s'endetter et à réduire leurs efforts de réduction des déficits. "C'est le mauvais instrument au mauvais moment. C'est notre position ferme et cela le sera aussi en juin", assure Angela Merkel.

Quelle est la position actuelle de Paris? "Pour nous, c'est une idée forte, mais on ne peut pas l'imposer, on va en parler", a expliqué Pierre Moscovici, nouveau ministre de l’Économie et des Finances. "Il ne s'agit pas d'isoler Angela Merkel, rien ne se fera sans le respect. Il s'agit de trouver un modus vivendi, un accord qui prenne en considération les intérêts de tout le monde", a poursuivi Najat Vallaud-Belkacem, la porte-parole du gouvernement. 

Les socialistes, François Hollande le premier, avaient pourtant longuement raillé Nicolas Sarkozy sur la question, l'accusant d'y être favorable mais de les avoir abandonnés face au refus de l'Allemagne. Il serait malvenu pour François Hollande de "céder" à son tour, pour reprendre son expression d'alors.

Que veut exactement François Hollande? "L'idée des eurobonds, qui était l'idée majeure qu'il fallait absolument faire avancer, ce que Nicolas Sarkozy n'a pas fait, c'était de pouvoir permettre aux États, non pas à tous, mais, à certains moments, lorsque la spéculation est à son comble, que des États puissent ne plus être la cible des marchés, et se sentir protégés par les autres pays européens", déclarait François Hollande en août 2011, interrogé par Europe1.

Et de poursuivre lors de la même interview :"J'ajoute une autre idée : les eurobonds pourraient aussi servir à soutenir la croissance. Certains pays aujourd'hui ne peuvent plus emprunter pour soutenir des grands travaux ou des infrastructures."

Mais au fil des mois, le discours a été semble-t-il amputé d'une partie de ses arguments. Lors du débat télévisé contre Nicolas Sarkozy, le candidat socialiste remettait en effet les eurobonds sur la  table. Mais il se limitait là au seul argument croissance, et ne parlait plus d'empêcher "que les États soient la cible des marchés".

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Ce que l'Allemagne pourrait céder? C'est que la différence d'arguments est de taille. Car Angela Merkel, opposée aux eurobonds, l'est beaucoup moins sur les "Project bonds". Qu'est-ce donc ? Un système d'obligations européennes, justement liées à des grands projets de travaux ou d'infrastructures précis. Ceux-ci contribueraient à relancer la croissance, sans soulager les États du poids des taux d'intérêt pour les dépenses hors de ces grands projets (dépenses courantes, remboursement de la dette). En résumé on emprunte pour des projets, pas pour le budget.  "Les Project bonds n'ont rien, mais vraiment rien du tout à voir avec un financement du budget par des obligations. Ce n'est pas parce que les deux s'appellent 'bonds' qu'ils ont un rapport", assure une source du gouvernement allemand.

Selon la présidence danoise de l'Union européenne, un accord a même déjà été trouvé. Les Project-bonds seraient financés par le déblocage de 230 millions d'euros de fonds européens, mais aussi par la Banque européenne d'investissement, établissement peu connu du grand public mais qui dispose d'une capacité de financement est de 45 milliards d'euros.

François Hollande s'en contentera-t-il? Pas sûr. Le président français a réitéré sa proposition de mettre sur la table à la fois eurobonds et Project bonds. Car ces derniers sont jugés insuffisants pour donner un vrai coup de "boost" à l'Europe. Comme le rappelle le site Euractiv.fr, dédié aux politiques de l'Union Européenne, l'évaluation des coûts nécessaires à l'achèvement du réseau transeuropéen de transports (secteurs routier, ferroviaire, aérien et maritime) atteint par exemple des proportions vertigineuses : 550 milliards d'euros d'ici à 2020, selon la Commission et jusqu'à 1500 milliards d'ici à 2030.

La France est-elle seule à vouloir les eurobonds? De moins en moins. Le chancelier social-démocrate autrichien, Werner Faymann, s'est rangé derrière la position de François Hollande. "Oui, je soutiens pleinement Hollande, qui veut soulever cette question lors du sommet européen, le 23 mai à Bruxelles, a déclaré Werner Faymann au quotidien autrichien Kleiner Zeitung, mercredi. Mais il s'agit d'un projet à long terme, qui ne se laissera pas réaliser dans les deux ou trois prochaines années. Et de plus, une discipline budgétaire crédible est la condition absolue de la création des euro-obligations".

Les chefs d'Etat espagnol et italien, Mariano Rajoy et Mario Monti, ont depuis longtemps apporté leur soutien aux eurobonds. Idem pour les deux principaux dirigeants de l'UE, le Président de la Commission et celui du Conseil, José Manuel Barroso et Herman Von Rompuy.

Et encore plus surprenant, la question fait débat au sein même de la CDU, le parti conservateur allemand d'Angela Merkel. Le commissaire européen chargé de l'énergie, Günther Oettinger, membre de la CDU, a en effet appelé mercredi à ne pas s'y " opposer par principe ".

Seuls le Premier Ministre néerlandais Mark Rutte, et le directeur de la BCE Mario Draghi restent sur la même ligne qu'Angela Merkel. Il reste à savoir si, politiquement, la chancelière peut donner dès ce mercredi des signaux sur ce dossier qui risquent d'apparaître comme une défaite pour elle sur le plan national, à 15 mois des élections législatives.