Essence : les limites du prix coûtant

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Leclerc vendra son carburant "à prix coûtant" pour un mois. Un leurre, selon l'UFC-Que Choisir.

La grande distribution aux côtés de l'Etat sur le dossier "carburants". Michel-Edouard Leclerc a annoncé lundi matin sur RTL que les hypermarchés et les supermarchés Leclerc allaient distribuer le carburant à prix coûtant et jusqu'à la fin du mois de septembre. Une réduction qu'appliqueront également les Magasins U. Intermarché, de son côté, a opté pour une opération ciblée sur le seul E10-SP 95 et pour une politique de bons d'achat, selon les informations recueillies par Europe 1.

Dans un contexte tendu, ces annonces ne peuvent être que bien accueillies. Par le gouvernement d'abord, qui a déclaré qu'il y aurait une diminution "modeste" et "provisoire" des taxes sur le carburant et qui voit là la grande distribution lui emboîter le pas après lui avoir mis la pression. Par les consommateurs ensuite, qui verront le prix à la pompe baisser "probablement de 2-3 centimes au litre", selon Michel-Edouard Leclerc.

"L'Etat se trompe de cible"

Cette idée de prix coûtant, à première vue intéressante, n'est pas totalement satisfaisante, d'après Alain Bazot, le président de l'UFC-Que Choisir, contacté par Europe1.fr. "Bien sûr, on ne peut pas bouder notre plaisir de voir les prix baisser, mais l'Etat se trompe de cible", regrette-t-il.

La grande distribution, régulièrement pointée du doigt pour ses marges excessives, ne fait quasiment aucun bénéfice sur l'essence. "Ce n'est pas là-dessus qu'ils gagnent de l'argent. Ils font des marges hallucinantes sur les produits peu transformés comme la viande ou le lait, mais pas sur le carburant", détaille-t-il. "Mais c'est bon pour l'image des distributeurs, et puis ça peut drainer des consommateurs dans les supermarchés", souligne encore Alain Bazot.

Un "effort" de 10 à 20 millions d'euros

Intermarché l'a bien compris aussi, qui assure sur son site proposer le SP95-E10 "à prix coûtant toute l'année". Récalcitrant, dans un premier temps, Système U a finalement décidé de rentrer dans ce jeu. "Si on bloque les prix, ça veut dire que demain, on vend à perte", signalait sur Europe 1 le 18 août Serge Papin, le président du groupe U. "Pour nous, l'enjeu financier est tellement fort qu'on pourrait à ce moment là ne plus avoir les moyens d'acheter le carburant", ajoutait-il à l'époque.

Finalement, les Magasins U ont annoncé lundi midi qu'ils allaient mettre en oeuvre la même mesure que Leclerc, ce qui représente "un effort de 10 millions d'euros pour le mois de septembre", selon un communiqué. C'est deux fois moins que pour les magasins Leclerc, mais ce coût serait compensé par "un regain d'activité sur d'autres produits", a estimé Michel-Edouard Leclerc sur RMC.

2 euros de réduction par mois pour le consommateur

De toute façon, le président de l'UFC-Que Choisir considère qu'on se trompe de voie. "La participation de la grande distribution et la baisse des taxes de l'Etat ne signifierait qu'un gain de 2 euros par mois pour le consommateur. C'est se moquer du monde", fustige-t-il.

Et à trop mettre la pression sur ce secteur qui vend le carburant "comme un produit de service"n d'après Serge Papin, l'Etat pourrait tout simplement le voir abandonner ce créneau. "Ce serait dramatique et poserait de sacré difficultés", prévient-il. Les producteurs et distributeurs, comme Total, Elf, Shell notamment en France, "seraient en monopole", et les prix flamberaient encore plus.

Les producteurs "s'en mettent plein les poches"

Quant à la participation de l'Etat via la baisse des taxes, Alain Bazot ne la juge pas opportune. "On ne va pas demander à l'Etat de se saigner pour entretenir les surmarges des producteurs". Ces derniers "s'en mettent plein les poches. On est aujourd'hui revenu aux sommets de 2008 sur le raffinage, avec des marges de l'ordre de 15 centimes/litre. C'est dément".

Et pour souligner un peu plus les gains effectués par les producteurs, le président de l'association de consommateurs en vient aux chiffres : "Entre 2009 et 2012, le prix de l'essence TTC a connu une hausse de 40%, alors que celui hors taxes a bondi de 117%. On voit bien que les taxes ont un effet amortisseur, et que c'est le hors taxe qui est facteur d'inflation".