Class actions : ce vieux rêve inassouvi

Grand classique américain, les "class actions" vont-elles débarquer en France ? C'est en tout cas le souhait exprimé par la ministre de la Justice, Christiane Taubira
Grand classique américain, les "class actions" vont-elles débarquer en France ? C'est en tout cas le souhait exprimé par la ministre de la Justice, Christiane Taubira © MAX PPP
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Christiane Taubira souhaite les mettre en place d'ici à l'été 2013. Une promesse déjà entendue.

Christiane Taubira réussira-t-elle à mettre en place les class actions, là où ses prédécesseurs se sont tous cassés les dents ?  La ministre de la Justice en a exprimé vendredi le souhait, dans une interview accordée au Parisien/Aujourd'hui en France. Selon les informations recueillies par Europe1.fr, le projet de loi sera fin prêt vers le printemps 2013.

Pour une "justice plus proche des citoyens", la garde des Sceaux met en avant la "simplicité" de ce type d'action. Leur introduction en France est réclamée depuis plusieurs années par les associations de consommateurs. En 2005, Jacques Chirac avait ainsi fait la même promesse que Christiane Taubira, mais le projet, pourtant relancé par Nicolas Sarkozy en 2007, n'a jamais vu le jour. Pourquoi ? Petite piqûre de rappel.

Une class action, c'est quoi ? Les class actions, ou actions de groupe, renvoient à une procédure de recours collectif en justice entrepris par un grand nombre de personnes, qui ont toutes subi le même préjudice, de la part d'un même auteur, souvent un grand groupe (banque, grande distribution, …). Elles peuvent également s'appliquer à un scandale sanitaire. Les class actions sont nées (et existent toujours) aux États-Unis, dans les années 50, suite à une catastrophe industrielle. Québec, Australie… elles sont à l'œuvre dans beaucoup de pays.

Les dommages et intérêts auxquels l'entreprise est condamnée ne concernent pas seulement les plaignants. Une fois le jugement prononcé, même les victimes qui n'ont pas porté plainte peuvent en effet en bénéficier, à condition qu'elles se soient fait connaître dans un certain délai et qu'elles prouvent qu'elles ont subi le même préjudice que les autres.

En août dernier, le site de vente en ligne Groupon avait fait par exemple l'objet d'une telle procédure aux Etats-Unis. Plusieurs centaines de salariés et d'anciens salariés du groupe ont déposé plainte, au motif que le site aurait violé le code du travail fédéral et celui de l’État de l'Illinois. Selon le cabinet d'avocats chargé de la mener, 1.000 à 2.000 personnes pourraient y participer. Et chacun pourrait réclamer à l'entreprise trois ans de salaire.

Mais la France ne risque pas de voir un tel scénario se produire. Contacté par Europe1.fr, le porte-parole du ministère de la Justice Pierre Rancé assure qu'il s'agira de class actions pour des "petits litiges, autour de 200 à 300 euros. Et cela s'appliquera à des cas avérés, avec des preuves faciles qui ne nécessitent pas d'expertises."

Quelle est la loi française aujourd'hui ? En France, les victimes peuvent actuellement joindre leurs plaintes, mais toutes doivent engager une procédure individuelle. Or, lorsque des milliers de victimes subissent un préjudice minime, il leur faut chacune engager des frais d'avocats et se lancer dans plusieurs années de procédure. Ce qui les pousse souvent à renoncer à toutes poursuites.

L'"action en représentation conjointe" a des similitudes avec la class action. Elle permet à une association de consommateurs agréée d'agir au nom de plusieurs victimes ayant subi le même préjudice. Mais en cas de dommages et intérêts, l'argent est versé à l'association et non à chaque victime.

Pourquoi les class actions n'existent-elle toujours pas en France ?  Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy les avaient promises, mais leur projet n'a jamais abouti. Les associations de consommateurs y voient là une reculade sous la pression du patronat.

Le Medef considère en effet que les actions de groupes font peser une menace économique sur les entreprises, que le syndicat a même chiffrée à plus de 16 milliards d'euros par an. "C'est une procédure très longue, qui peut durer des années", avait justifié en septembre dernier le secrétaire d'Etat à la Consommation de l'époque, Frédéric Lefebvre. "L'absence d'un dispositif d'action de groupe en France correspond à un choix du gouvernement dicté en grande partie par la conjoncture économique. On évite un écueil, un chantage économique sur les entreprises qui n'est pas sans conséquences en terme de croissance et d'emploi", avait-il développé.

Contactée par Europe1.fr, la nouvelle équipe du ministère de la Justice se montre confiante, sans détailler cependant sa stratégie. "Ce seront des class actions à la française, pour des petits litiges, qui éviteront les dérives américaines. Il va falloir construire le texte, il est à l'écriture. Il reviendra ensuite aux députés de l'adopter", a simplement répondu le Porte parole du ministère, Pierre Rancé, à la question de savoir comment le gouvernement Ayrault espère réussir là où les gouvernements Chirac et Sarkozy ont échoué.

Comment ont réagi les associations à l'annonce de Christiane Taubira? L'association de consommateurs CLCV a salué vendredi les propos de la ministre. "Nous ne pouvons que nous réjouir de cette annonce qui répond aux attentes que nous formulons depuis de très nombreuses années", a déclaré l'association, qui cependant, "veillera à ce que cette volonté affichée aboutisse". L'action de groupe "répond à une véritable nécessité, aucune action n'étant actuellement adaptée au règlement des litiges de masse", a-t-elle ajouté dans un communiqué.